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Charles, seul survivant d’un accident d’avion en Afrique centrale, « cinq kilos de bébé qu'un gros vautour était bien capable d'emporter à des kilomètres », a été trouvé dans un buisson par les mercenaires qui vidaient la carcasse des trésors qu'elle contenait : nourriture, alcool, vêtements, magazines ou livres, appareils photo, montres, lunettes de soleil, bijoux, enfin tout ce qui pouvait leur servir ou être revendu ou échangé sur les marchés. L'un d'entre eux nommé Cul-nu, « parfaite incarnation de l'histoire de l'Afrique contemporaine », « au passé flou, au présent douloureux et à l'avenir incertain », embarque le nourrisson jusqu'à son campement pour le prendre sous son aile. « Il avait passé son enfance les armes à la main, d'un côté ou de l'autre de l'horreur, obéissant aux ordres de ce qu'en Europe il est convenu d'appeler des groupes rebelles mais qui en général ne sont que des voleurs, des violeurs et des mercenaires n'ayant trouvé d'autres moyens pour survivre dans ce continent sacrifié. » Pour le petit, qu'il trinqueballe sur son dos lors de ses itinérances ou laisse temporairement chez des femmes de confiance lors de ses raids, l'ex-enfant soldat ayant appris à lire et écrire lors d'un long séjour à l'UNICEF atteint par le virus des livres (notamment Verlaine, Rimbaud et Apollinaire) veut le meilleur. Alors, ce père d'adoption l'initie obstinément pendant une petite quinzaine d'années à déchiffrer la nature, à la survie mais aussi à la lecture pour « que l'élégance des rimes et la finesse de l'esprit agissent sur la structure de son cerveau en formation ». Une manière aussi de permettre au « petit Blanc » recueilli de conserver un lien avec ses propres ancêtres. Si Cul-nu l'abandonne à ses quinze ans pour repartir au combat c'est que le gamin en se mettant en couple avec Septembre, une rescapée d'un massacre villageois dont il est éperdument amoureux, a franchi la frontière de l'âge adulte où on devient seul maître de ses choix. Le jour de ses seize ans, le garçon encore mineur est donc récupéré en grande pompe pour revenir vivre en Belgique « chez des siens », dans la famille de son oncle. C'est plutôt au sein de l'établissement scolaire, du côté de l'équipe pédagogique, spécialement ses deux interlocutrice privilégiées que sont Mme Carpentier son professeur de français et Saddiki la psychologue scolaire, que le garçon catégorisé dans un espace singulier et aléatoire selon les interlocuteurs entre le « bon sauvage » et « l'enfant soldat » trouvera l'attention et l'aide nécessaire. Parmi ses jeunes camarades de classe, filles et garçons, il se créera ensuite un vrai réseau d'amis qui lui apprendront à comprendre ce nouvel environnement qui lui est imposé pour parvenir à s'y intégrer, tout au moins apparemment. La deuxième étape pour le garçon surdoué qui rêve toutes les nuits de Septembre et compte discrètement les mois qui le séparent de la majorité, sera d'utiliser judicieusement les clés qu'il a acquises pendant ces deux ans pour élaborer et mettre en œuvre le plan qui lui permettra de retourner en Afrique retrouver celle qu'il aime. Disons le tout de suite : ce livre n'est pas fait pour émouvoir et le héros principal qui nous raconte son histoire, un personnage hors du commun aussi intelligent que dénué d'affect, est plus inquiétant que sympathique. Thomas Gunzig ne nous rejoue pas ici l'histoire de « l'enfant sauvage ». Il s'amuse avec une certaine perversité à la prendre à rebours en se donnant toute liberté de dénoncer à travers le regard naïf du héros notre société aussi vide de contenu que bien-pensante. La sauvagerie des villes « civilisées » vaut bien ici celle de Centre Afrique. Avec cet humour noir qui caractérise l’ensemble de son œuvre (« un humour naturel, qui ne console de rien, mais permet de donner le change » a-t-il expliqué à ses débuts), il démonte sous nos yeux les rouages de la galaxie Internet pour nous en montrer les dangers et la nocivité, pointe du doigt la solitude et l’égoïsme dominants des êtres dans cette société de consommation qui met notre planète en péril, règle leur compte aux médias, aux politiciens véreux, fait un détour par la pratique de l'arnaque et du chantage… C'est avec ce livre explosif et décapant, déjanté et tendre, cruel et drôle, sombre et optimiste, un excellent cru que nous offre Thomas Gunzig. On ne peut que regretter qu'entre radio, cinéma et théâtre, cet auteur se fasse décidément trop rare en littérature. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Au Diable Vauvert (Août 2017) 336 pages - 18 € Folio (Juin 2019) 320 pages - 7,90 €
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