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Philippe SÉGUR


Le Chien Rouge


Ce roman rend hommage au Loup des steppes d’Herman Hesse dont il reprend la structure : une préface de l’éditeur et le manuscrit du narrateur avec, enchâssée au milieu, la brochure dont le narrateur a la surprise de découvrir qu’il en est lui-même le sujet. Mais, ici, l’œuvre d’Herman Hesse est transposée dans la société contemporaine, nous ne sommes plus dans l’Allemagne des années trente mais dans la France d’aujourd’hui. Le roman met en scène un homme révolté en qui se déchirent deux conceptions de la vie, d’une part le professeur d’université de cinquante ans, bien installé dans un quotidien confortable et, en opposition complète, l’écrivain, le créateur, le révolté, « le chien rouge » qui ne demande  qu’à s’exprimer dans toute sa rage et sa liberté. Qui l’emportera du bourgeois ou de l’artiste ?

Dans une préface d’une vingtaine de pages, « l’éditeur » raconte sa rencontre avec Peter Seurg au cœur d’une forêt pyrénéenne où ils habitaient des maisons à une centaine de mètres l’une de l’autre. Ils se croisaient quand l’éditeur faisait sa promenade et Seurg son footing. Ils ont sympathisé et se voyaient de temps à autre pour converser.
Seurg confiait toutes les similitudes entre sa vie et celle d’Hermann Hesse dont il ne cessait de lire et relire Le loup des steppes. Il développait des théories qui surprenaient son futur éditeur comme celle de Rupert Sheldrake sur la mémoire des formes antérieures et exprimait des conceptions politiques très radicales. Je me rappelle encore ses diatribes contre notre démocratie qu'il jugeait dévoyée, transformée en oligarchie, et contre cette élite techno-financière qui, au lieu d'élever les masses vers des objectifs moraux et intellectuels supérieurs, les maintenait dans la fange par une propagande médiatique massive en prétendant lui servir de guide éclairé. « Le capitalisme néolibéral est la version occidentale du marxisme-léninisme ! » martelait-il. Il me semblait alors voir une flamme rougeoyante s'allumer dans ses yeux et ses lèvres s'ourlaient comme s'il retroussait les babines.
Les échanges entre les deux hommes ont duré plusieurs mois jusqu’à ce que Seurg dépose son manuscrit dans la boîte à lettres de l’éditeur et disparaisse…

Dans ce « manuscrit » rédigé à la première personne, Seurg (ne serait-ce point l'anigramme de Ségur ?) raconte son travail à l’université, le dégoût de l’évolution de la société et la dépression qui l’a conduit à s’isoler dans une maison au milieu de la forêt.
Il y évoque sa relation avec Neith, une jeune femme amoureuse mais mariée et hésitante. Il met longtemps à la convaincre de quitter son mari et lorsqu’ils peuvent enfin vivre ensemble, l’apaisement des tensions n’est pas au rendez-vous. J'avais un grand besoin de stabilité, elle avait un besoin constant d'attention. Le plus infime relâchement de l'une ou de l'autre provoquait la dispute. […] Ce n'étaient pas des chamailleries vénielles, mais des conflits cuisants qui allaient de l'hostilité muette, délétère, poison de jours entiers, jusqu'à des éruptions furieuses, intarissables, auxquelles je me laissais entraîner et qui, me roulant dans l'absurde, finissaient par me condamner au silence.
Là encore, rupture et isolement. Seul au milieu des bois avec son ordinateur et ses livres, l’alcool et les psychotropes.

Un jour, il reçoit une invitation pour le « Barcelona Burning Bash » une de ces fêtes monstres, organisées sur les principes de la liberté d’expression radicale, de l’absence totale de tabous et du refus du mercantilisme. Le message, anonyme, propose un emplacement de tente pour un week-end de quatre jours aux quelques centaines de happy few admis uniquement par la voie des réseaux à ce genre de manifestations.
C’est là, entre musique, alcool et drogue, qu’il rencontre celle qui lui remet une étrange brochure d’une vingtaine de pages intitulée L’appel du Chien Rouge qui décrit les combats intérieurs d’un homme nommé S.
Je terminai la lecture de cette brochure, ébranlé. Qui avait pu l’écrire sinon quelqu’un qui me connaissait aussi bien, sinon mieux que moi-même ?

Mystère, réflexion, suspense, on est entraîné par les interrogations de Seurg, ses colères, ses déchirements, ses excès d’alcool et de drogue qui lui permettent d’étranges rencontres…

Avec ce roman profond, violent et parfois halluciné, Philippe Ségur poursuit un parcours littéraire exigeant, interrogeant la place de l’homme dans une société de moins en moins humaine et son rapport à l’amour et à la création. Une fois encore, l’auteur aborde un genre littéraire différent. Après la machine à remonter le temps, le faux récit de voyage ou la fable caustique, c’est ici la reprise d’une structure de roman préexistante. On ne peut que saluer la performance en se demandant ce qu’il va bien pouvoir nous concocter la prochaine fois. Voilà un auteur dont il faut découvrir l’œuvre dans son intégralité pour en apprécier l’étonnante alchimie entre constance et diversité. Après la lecture de ce poignant roman, on peut, en attendant le prochain, se plonger  avec bonheur dans les huit précédents, parus chez le même éditeur et pour la plupart repris en collection de poche.

Serge Cabrol 
(10/09/18)    



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Lectures








Buchet-Chastel

(Août 2018)
240 pages - 17 €















Philippe Ségur,
né en 1964, professeur de droit constitutionnel, a reçu plusieurs prix littéraires pour ses romans, notamment le Renaudot des lycéens pour Métaphysique du chien.



Bio-bibliographie sur
Wikipédia












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