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Philippe BESSON


Un certain Paul Darrigrand


On lit le premier, Un certain Paul Darrigrand, on le savoure, on retrouve cette écriture qui porte l’esprit juste là où il se sent bien, et on a l’impression d’être plus intelligent. Alors même si ce qui se passe entre les êtres peut ressembler à une histoire banale, qui a dû être vécue par d’autres couples… on est pris. Justement parce que la sincérité suinte sous les phrases, et parce qu’elle est simplement évidente !
Car Philippe Besson vient nous raconter : « Donc, c’est juste cela, notre premier contact : une légère bousculade, une œillade sombre, un frôlement, et puis un effacement. C’est sans importance. Enfin, c’est ce que je crois. »
Et l’on se penche avec l’auteur sur ce déclenchement, puis sur le déroulement de cette relation qui se tisse et se cherche, avec ses élans d’amour, de sensualité. « Il réclame ma présence, exige des déjeuners, des balades aux allées de Tourny puis se ravise, dit à peine bonjour, change de couloir quand il m’aperçoit. Et moi je lui obéis, minable pantin dont il tire les fils. » Qui peut se dérober et s’affirmer aussi : «  C’est le moment qu’il choisit pour me lancer, négligemment (néanmoins il me semble que la négligence est très travaillée, je le devine au battement nerveux des paupières) : ce serait bien que tu rencontres Isabelle non ? Isabelle c’est sa femme. »
Et puis on continue, et on voit une année universitaire se dérouler, et la maladie venir bousculer des équilibres comme peut-être relever l’essentiel, comme lorsque les protagonistes discutent à propos de la maladie de Philippe : « Il finit par murmurer : mais c’est moi quand même, c’est pas n’importe qui, c’est pas les autres […] Il me dévisage : tu as déjà vu des intimités plus grandes ? tu as une idée de combien de personnes me connaissent comme tu me connais ? et moi je sais comment tu gémis, comment tu pleures, comment tu embrasses.»
Au cours de sa narration, l’auteur évoque ses autres livres et justement la place qu’a tenue cette maladie dans son roman Son frère. « Dans le livre je me suis donné le rôle du bien portant. Cependant tout est écrit de sorte que le lecteur est convaincu de tenir entre les mains un récit autobiographique, un témoignage. »
Cette intimité dévoilée, cette analyse des sentiments, n’est jamais impudique chez Philippe Besson, malgré les précisions ou les détails, On a juste l’impression de mériter ses confidences, car elles nous touchent doucement. Et de nombreux passages le montrent, à tel point que l’on s’imagine dialoguer avec l’écrivain devenu notre ami.
Ainsi, il est difficile de lire cela sans en ressentir toute la force tendre.
« Je sais le regard qui était le sien quand il a prononcé ces mots.
Je le sais précisément, exactement.
Et je suis le seul à le savoir.
[…]
Parce qu’il est inoubliable. Inoubliable.
Mais je ne sais pas le décrire, j’en suis incapable
[…]
Il y a une limite à ce que je peux écrire.
Ecrire ce regard se situe au-delà de cette limite.

À lire, apprécier, savourer. Accepter la perte, ou s’autoriser la tristesse comme le bonheur ou le désir.

La fin de ce roman annonce le second, les deux dernières pages devenant les premières à quelques détails près, ces retrouvailles presque vingt ans après, à Montréal.
Alors on se demande si la magie opère encore !

 

Dîner à Montréal

Eh bien oui, elle opère et même, au-delà de l’espéré. Philippe Besson, en quelque deux cents pages, va nous parler du déroulement d’un dîner, et dans cette unité de temps (quelques heures), et de lieu, nous impliquer dans ce qu’il va se passer. C’est l’art consommé de Philippe Besson.
Dès le début du roman, l’auteur nous s’adresse à nous : «  Je vous ai parlé de Paul Darrigrand. Je vous ai parlé de ce jeune home aux yeux noirs, qui venait jadis me retrouver dans ma chambre d’étudiant à Bordeaux ; c’était en 1989. Je vous ai parlé de notre amour clandestin, vécu dans le plus bel âge, tandis que je valsais dangereusement avec la mort ; de cet amour inabouti, finalement renvoyé au néant, à la fin d’un été. »
Est-ce que tout va pouvoir se dire, s’expliquer, se deviner, s’exposer ou se sous-entendre ? Quelque dix-huit ans plus tard ? Après avoir vécu cette histoire complexe, mais où, apparemment, ni l’un ni l’autre n’avait pu mesurer ou en comprendre l’impact ? (mais peut-on se fier à ses propres interprétations des paroles ou des actes de l’autre, alors que c’est à l’aune de sentiments sur le vif qu’elles ou ils  s’inscrivent ?!)
Un tel réalisme combiné à une lucidité interrogative force le respect et nous séduit tout au long de ces deux romans. Car ici  encore, l’écriture de Philippe Besson est un personnage.
Alors certes le sujet est important pour l’auteur, on le devine, et peut-être même indispensable depuis son roman "Arrête avec tes mensonges", puisqu’il s’agit d’exprimer la profondeur de ce qui n’a pu être montré auparavant. Mais il est tout aussi important pour le lecteur, qui retrouve cet art de choisir les mots, et de les rendre judicieux par leur place dans la phrase. Comme si leur sens n’appartenait alors qu’à l’auteur et qu’il nous l’offre en mettant en avant leur ambigüité. Lire ce que ce rythme, silences et ponctuations compris, va nous révéler est un plaisir bien particulier ! On se « laisse entendre » ce qui se dit ou ne se dit pas. Apparente contradiction, car si l’écriture est précise, fine et détaillée, elle laisse la place aux silences invisibles. Ou commentés.
Dialogues entre les quatre convives, pensées de l’auteur à propos de ce qui se dit, de ce qu’il ressent, et par exemple, au cours du repas, lorsque la femme de Paul sort fumer une cigarette accompagnée de l’ami de Philippe, la place est là pour un dialogue plus direct, …Et à une question de Paul, Philippe de penser : « Je pourrais lui dire : je n’ai rien oublié, pas une seconde, pas un évènement, pas un regard, pas une étreinte […] J’ai donc le réflexe de mentir (réflexe courant chez moi) : ah oui vraiment ? Tu as meilleure mémoire que moi. Il ne se laisse pas abuser par ce mensonge. Il sait, bien sûr, que je n’ai rien oublié. Il n’a balancé sa réplique que pour en obtenir confirmation. »

Il serait tentant de poursuivre, d’attraper tout ce qui nous charme et nous bouleverse, dans les propos que Philippe Besson nous livre au cours de ces deux derniers romans, mais comme dans les précédents, il nous parle, simplement, ou il se raconte et cela paraît si naturel. Avec cette mélancolie qui rend les bonheurs encore plus précieux, et les plaisirs plus subtil…
Du grand art ? Ou de l’intime érigé au rang de grand art…

« Demander pardon pour la tristesse. Ces mots, ces mots seuls pourraient m’arracher des larmes. Combien de chagrins avons-nous infligés, dont nous savions la violence et l’injustice ? Combien de chagrins avions-nous endurés, sans que rien ni personne vienne les atténuer. »

Anne-Marie Boisson 
(23/08/19)    



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Lectures







Philippe BESSON, Un certain Paul Darrigrand
Julliard

(Janvier 2019)
216 pages - 19 €


Philippe BESSON, Dîner à Montréal
Julliard

(Mai 2019)
198 pages - 19 €










Philippe Besson,
né en 1967, écrivain, scénariste, critique littéraire et animateur de télévision, a écrit une vingtaine de livres et obtenu plusieurs prix dont le Grand Prix RTL-Lire pour L'Arrière-saison. Ses romans, sélectionnés pour le Femina, le Médicis ou le Goncourt, sont repris en 10/18 et traduits dans une vingtaine de langues. Son frère a été adapté au cinéma par Patrice Chéreau (Ours d'argent à Berlin) et Un homme accidentel par Rodolphe Marconi. Philippe Besson a aussi écrit plusieurs scénarios pour la télévision.




Bio-bibliographie sur
Wikipédia








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