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Isabelle DUQUESNOY


La Pâqueline
ou les mémoires d'une mère monstrueuse



Paris, 1798. Victor, ou plutôt Victordu, ainsi nommé par une mère dégoûtée par un fils qu’elle trouve laid et crétin, est embaumeur. Le roman commence par son procès pour rapports sexuels avec le cadavre d’une jeune femme, par amour dit-il, dans l’exercice de son activité. La presse a fait ses choux gras de cette affaire, l’opinion publique est horrifiée et le jeune homme est embastillé. La Pâqueline, sa mère, en conséquence, voit son présent basculer. « Elle ne s’était jamais sentie responsable du crime de son garçon pourtant, d’ailleurs les juges et la police ne l’avaient pas inquiétée. Mais la déchéance de son rejeton l’avait salie autant qu’elle l’avait rendue célèbre. » La population du quartier lui tourne le dos, elle est harcelée par les mômes qui jettent des pierres sur ses vitres et l’insultent, les commerçants refusent de la servir et pour finir ils ont tous mis le feu à la maison où l’horrible garçon avait été élevé par ses parents. Depuis le décès de son tendre Johann et la mise en apprentissage du rejeton, n’y demeurait plus que Pâqueline. Désormais sans toit, celle-ci se retrouve à dormir à la rue avant de se souvenir soudainement de l’appartement laissé vide par son fils. Elle découvre sur place un affichage de richesse, un goût de la bizarrerie et du luxe qu’elle ne lui connaissait pas. Si la ménagère complète en argent à ses initiales l’a beaucoup impressionnée, les bocaux où flottaient des animaux ou des organes l’ont plus surprise encore. Elle n’hésitera pas à déposer meubles, curiosités et objets divers au Mont-de-piété pour survivre. Elle a pu régler aussi la pension hebdomadaire que réclamait la prison pour que son garçon quitte le cul-de-basse-fosse où attaché au mur il dormait avec les rats sur de la paille avec du pain et de l’eau pour seule nourriture, pour emménager dans une chambre à deux ou trois avec deux repas par jour. Elle ne dit bien évidemment pas à son fils reconnaissant qu’il réglait la facture lui-même avec la dilapidation de son patrimoine. Tandis que Victordu s’attendrit des visites régulières de sa mère et du soin qu’elle prend de lui pour la première fois de son existence, la mère toujours aussi exaspérée par cet âne pleurnicheur, se défoule en utilisant tous les murs de son appartement pour écrire son histoire depuis sa petite enfance. Elle n’hésitera pas à lui jeter au visage ses secrets les plus inavouables dont certains ne sont pas sans le concerner de près. 
Et comme Pâqueline est une femme toujours en mouvement, aidée de Toussaint, l’assistant noir de Victor, elle reprendra l’échoppe d’embaumeur et la fera fructifier avec des trafics douteux, peut-être assez semblables à ceux qui avaient enrichi son benêt de gamin si rapidement. « À Paris, tout le monde faisait commerce des morts, sans vergogne. Elle n’avait plus à avoir honte… »

Mais Pâqueline maligne ne s’arrêtera pas là, alors que de façon inespérée le fils pourrait sortir de prison plus vite que prévu, elle flaire chez le voisin de chambrée de celui-ci un petit magot qui pourrait bien garantir ses vieux jours….


               Si Isabelle Duquesnoy est une conteuse hors pair, La Pâqueline, bien que fort peu académique, est un roman historique très documenté sur le Directoire, non celui des guerres du général Bonaparte, même si la guerre d’Égypte s’y trouve brièvement évoquée, mais celui du quotidien des quartiers populaires dans lequel elle nous immerge et celui des us et coutumes de l’époque qu’elle décrit de façon détaillée. Ce sont les vauriens, les prostituées dans la rue ou les maisons closes, les petits métiers aujourd’hui disparus, la mode, les produits des étals, les habitudes alimentaires ou funéraires qui, plus qu’ils ne constituent un décor, nous plongent dans l’esprit même du temps. Tandis que l’évocation des conditions de détention et l’ombre de la guillotine traduisent la violence étatique et la peur généralisée, la saleté, la puanteur, la pauvreté et la violence de la rue illustrent la misère physique et morale qui hantent les bas-fonds des villes dans cette fin du dix-huitième siècle. Et avec la part normande du récit écrit par Pâqueline sur les belles tapisseries de l’appartement de son fils s’étalent sous nos yeux les superstitions, les rancœurs, les hypocrisies et les vices qui sévissent aussi à la campagne et n’ont parfois rien à envier à ceux des villes.
À Paris ou dans le bocage, derrière Pâqueline, on voit dès lors se profiler l’existence difficile de toutes les femmes pauvres livrées en pâture à un monde hostile et aux mâles durant plusieurs générations.

Personnage secondaire dans le roman précédent de l’auteure (L’embaumeur) qui avait Victor pour sujet, La Pâqueline, comme l’indique son titre, est entièrement centré sur la mère monstrueuse de celui-ci, un être retors, malsain et féroce, confit dans sa haine et ses frustrations, qui suscite le dégoût et le rejet. Mais c’est aussi une fille de prostituée malmenée par le sort, une épouse tendrement attachée à son époux, une femme brisée mais intelligente dotée d’une incroyable force de survie qui finit par nous émouvoir. Si en découvrant son art de tirer un maximum d’argent des cadavres on a souvent le cœur au bord des lèvres, l’enfance terrible qui a transformé la jolie petite fille en sorcière nous fait éprouver au fil du récit de la compassion. La mère de Pâqueline, Jeannette nommée Bouc et Bique ou Aphrodite au bordel, son fils Victordu, la mère maquerelle, Ignace Delamare le gentil apothicaire normand prenant mère et fille chez lui quand elles se retrouvent à la rue, son frère aîné Lo, petit propriétaire terrien enrôlé pour la guerre, Johann, fils de celui-ci et plus tard mari de Pâqueline, Mathilde qui règne chez les Delamare sur le fourneau et la maison, le tanneur, Fauchais le notaire emprisonné, Toussaint, l’ancien esclave des colonies recueilli par Victor comme assistant, ces personnages secondaires qui gravitent autour d’elle auront plus ou moins d’impact sur la vie mouvementée qui aura été la sienne.    

Le récit, rythmé par de nombreux dialogues hauts en couleur, se construit autour du présent parisien de l’héroïne et le récit de sa jeunesse couvrant les murs de l’appartement de son fils qui s’y entrelace. L’usage d’anciens termes de métiers (mode, bordel, embaumeur, tanneur, cabaretier, postillon, accoucheuse...), ceux concernant la cuisine ou les vêtements, des insultes obsolètes, donnent une consonance d’époque et celui du vieux patois émaille les quatre années passées en Normandie. Des notes en bas de page en fournissent la signification quand cela s’avère nécessaire et précisent à l’occasion quelques événements historiques ou dates évoquées. L’outrance, la truculence rabelaisienne, l’humour, le langage cru voire grossier, alternent avec une langue classique parfois d’une grande finesse.

Cette tragi-comédie morbide, fantasmagorique, insolite, effrayante, cocasse et émouvante pourrait être une transposition en littérature des cabinets de curiosité apparus à la Renaissance et encore en vogue au dix-neuvième siècle, ces collections hétéroclites d’histoire naturelle qui s’intéressaient aux curiosités végétales, animales ou humaines en n’hésitant pas, avec des organes humains ou d’animaux soigneusement conservés dans des bocaux pour être exposés, à verser dans la monstruosité. 
Dans ce roman au croisement du feuilleton populaire le plus classique, du guignol et du roman historique, l’érudition et l’imagination, la tendresse et la pire violence, les scènes rurales ou d’horreur, se côtoient de façon insolente parvenant par leur conjugaison à faire du récit de la misérable Cosette à l’effrayante écorcheuse un livre cohérent et fascinant.
Pâqueline, hors toute norme, est un personnage qu’on ne risque pas d’oublier et les quatre cent cinquante pages qui nous narrent son histoire se dévorent sans temps morts avec une constante jubilation. Époustouflant !

Dominique Baillon-Lalande 
(01/03/21)    



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La Martinière

(Janvier 2021)
460 pages - 21,50 €
















Isabelle Duquesnoy
diplômée d'histoire et
de Restauration du Patrimoine, a publié des romans et des biographies sous son nom et sous différents pseudonymes.



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