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Gilles PARIS

Certains cœurs lâchent pour trois fois rien



Contrairement à ses livres précédents, le narrateur ici n’est pas un enfant mais l’auteur lui-même qui retrace d’une écriture claire et émouvante, avec beaucoup de courage et de sincérité, le parcours de son mal-être depuis l’enfance et les multiples dépressions qui en ont résulté mais aussi les moments de bonheur dans son métier, son écriture et sa vie privée.
Les mécanismes d’une dépression, son début comme sa fin, sont encore mystérieux et il est intéressant de lire ce que l’auteur écrit à propos de chacune de celles qu’il a vécues. « Deux dépressions ne se ressemblent pas. La plus longue a duré deux ans ; la plus courte, trois mois. » Et entre deux dépressions, le retour à la vie, au travail, à l’écriture, à l’amour, jusqu’à la suivante qui déboule sans prévenir.

Après un court avertissement sur son objectif, le livre commence par une Lettre au père. « Je ne commencerai pas cette lettre par "Cher papa", rien de toi ne m’est cher. » Silence, absence, violence… Un père avec lequel il ne parvient pas à communiquer, un père qui quitte la maison pour fonder une famille ailleurs, un père colérique qui frappe à coups de poings et de pieds, un père qui lui répète : « Tu ne vaux rien. Tu ne feras jamais rien de ta vie. Tu es une merde. »
Pas facile de se construire dans ces conditions, de s’épanouir et d’avoir confiance en soi. Pourtant le jeune homme se montre déterminé, combatif, créatif…

Il travaille dès l’âge de dix-huit ans. Beaucoup de petits boulots : manutentionnaire, ouvrier en usine, serveur dans un bar, veilleur de nuit, garçon de bureau au journal Le Monde, documentaliste, escort boy… Il dépense plus vite qu’il ne gagne, il aime sortir, voyager… « J’organise des dîners, j’offre des cadeaux somptueux, je veux qu’on m’aime. »
À vingt ans, à l’occasion du Festival de Cannes, il crée un argus de la presse. Il n’a jamais cessé depuis de travailler comme attaché de presse chez des éditeurs ou au sein de sa propre agence. C’est l’occasion de belles rencontres comme celle de Françoise Sagan dont il défendait un livre et dont il est devenu très proche jusqu’à s’installer chez elle avec Ingrid, la compagne de l’autrice. Une période folle, la nuit, les fêtes, l’alcool, la drogue, mais pas une relation amoureuse parce que Gilles a découvert très tôt son attirance pour les hommes avec des expériences dès l’âge de onze ans. Ce qui ne l’empêche pas de vivre aussi des aventures avec des femmes. La rencontre la plus importante est celle de Laurent, il y a vingt ans, Laurent qui est devenu ensuite son mari et qui le soutient pour le meilleur et pour le pire.

Le pire ce sont les dépressions, les hospitalisations, les tentatives de suicide dont l’auteur parle avec franchise évoquant les souffrances, les traitements, la vie dans les hôpitaux à Paris, Montpellier ou ailleurs, les échanges avec les psychiatres et les autres patients quand son état permet un minimum de communication. Et dans ces moments-là, toujours cette phrase qui tourne en boucle : « Tu ne vaux rien. Tu ne feras jamais rien de ta vie. Tu es une merde. »

Il a commencé à écrire son journal à l’âge de dix ans et a publié huit livres en trente ans. Il explique la raison d’être de chacun de ses livres, leur origine et leur contenu. Chacun est une réponse à la violence et l’absence du père mais le renvoie aussi à ses démons.
« Après la parution d'Au pays des kangourous va naître en moi le sentiment que mes livres sont en partie responsables de mes dépressions. Après chaque lancement, je rechute. C'est systématique. Laurent, toujours pratique, me conseille d'arrêter d'écrire. Autant mourir. »
Il essaie de s’abriter derrière l’écran de la fiction. Ses romans ne sont pas directement autobiographiques mais plutôt à l’exact opposé.
« Souvent j'écrirai des fusions fortes entre un père et un fils, Au pays des kangourous, L'Été des lucioles, Inventer les couleurs, tandis que les mères sont absentes, mortes et quasi insensibles à leur fils. J'inverserai le cours de ma vie, à la recherche permanente d'une famille dysfonctionnelle. Cette distance, me semble-t-il, m’a toujours protégé. »

En 2016, une nouvelle tentative de suicide met fin à la série. « Ce sera ma dernière. Celle où je me réveillerai près d'un médecin qui me dira : "À dose équivalente, un autre patient aurait pu y rester. Certains cœurs lâchent pour trois fois rien". C'est la seule fois où je prends vraiment conscience de la chance que j'ai eue. Défier la mort est une comédie dangereuse. »

Heureusement, au fil du livre, en alternance avec le pire, on voit aussi le meilleur : la curiosité, la passion pour son métier, les livres, les auteurs et l’écriture, le goût pour la fête, la danse, les voyages, le bonheur et l’amour.

Un témoignage courageux et émouvant où l’auteur livre beaucoup de lui-même, susceptible de nous aider à comprendre des mécanismes qui paraissent obscurs et mettre fin aux périodes sombres pour retrouver la lumière et la chaleur humaine.

Gilles Paris termine avec une liste de ce qu’il aime, il y en a cinq pages. Une belle ouverture vers le bonheur. On en sort revivifié et prêt à apprécier les moindres parcelles de plaisir que nous offre la vie. Un livre positif et lumineux sur ses dépressions, c’était un projet risqué mais c’est réussi. De livre en livre, l’auteur ne cesse de confirmer son talent.

Serge Cabrol 
(08/02/21)    



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Lectures







Gilles PARIS, Certains cœurs lâchent pour trois fois  rien
Flammarion

(Janvier 2021)
224 pages - 19 €

Version numérique
11,99 €









Gilles Paris,
né en 1959, travaille dans le monde de l'édition.



Bio-bibliographie
sur le site de l’auteur :
www.gillesparis.net






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