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Erri DE LUCA & Alessandro MENDINI


Diables gardiens


« Je suis un moisonneur d’histoires » écrit Erri De Luca dans ce superbe Diables et gardiens, livre où ses textes devisent avec les non moins superbes dessins d’Alessandro Mendini. La phrase vaut d’être revelée tant il est vrai que l’ouvrage tient du champ. On peut y piocher sans ordre précis, au gré des images qui nous arrêtent, pour leur étrangeté, pour leurs couleurs.

Toutes ont cependant la même source d’inspiration : les dessins de cauchemar d’un enfant. Les ayant observés, Alessandro Mendini a convoqué ses propres monstres et ce sont eux qu’il a dessinés à son tour puis tendus à Erri De Luca. L’écrivain s’en est emparé à sa façon, abordant ses thèmes de prédilection : la politique, l’engagement, l’écriture et la lecture, mais aussi sa jeunesse et son enfance, là où sont tapis ses fantômes.

Il en ressort des textes émouvants. Sur les yeux du père de l’écrivain par exemple et, au-delà, sur l’importance de l’œil dans l’écriture. « L’œil imagine, l’œil prévoit » écrit l’auteur avant de rendre hommage à la vue, qu’il définit comme « un remerciement au don supérieur de la lumière. » L’ouïe n’est pas en reste, au contraire, car c’est elle, nous rappelle Erri de Lucca, qui reçoit les vacarmes du monde pour, les traduisant, en faire des mots.

Naples, la ville de naissance de l’écrivain, est elle aussi souvent évoquée ou convoquée. À moins qu’elle ne se soit invitée d’elle-même, comme ces morts qui apparaissent parfois à la table d’Erri De Luca, et qu’il laisse manger et bavarder avant d’aller se coucher. On en déduit que l’auteur cohabite avec ses fantômes, comme s’ils le constituaient, l’habitaient. On y croit plus encore en lisant cette quasi définition de l’écriture qu’il nous confie : « On écrit avec tous les autres qui sont en nous. »

Fantômes ou non, nous sommes des corps peuplés de tensions. D’où un magnifique texte sur la patience. « Une tension à l’intérieur d’une attente. » écrit l’auteur. D’où un éclairant texte sur l’indifférence et ses dangers. N’oublions pas le passé, n’oublions pas d’où nous venons, n’oublions pas nos monstres semble nous dire Erri de Luca. Regardons le présent, oui, aussi, ses monstruosités qui se déroulent à deux pas, en Méditerranée. Les migrants qui y périssent, Erri De Luca les contemple à partir d’une phrase que l’on croirait tirée d’un poème quand elle ne vient que d’un traité chinois mais peu importe puisqu’elle est éloquente : « Traverser la mer sans que le ciel le sache. »

Ainsi se succèdent images et mots, les uns n’annulant pas les autres et réciproquement. Ils se baladent plutôt bras dessus bras dessous, comme Erri De Luca et Alessandro Mendini l’ont fait eux-mêmes. Ce n’est pas nous qui le disons, c’est l’auteur. Et c’est tout à fait cela.

Isabelle Rossignol 
(09/02/22)    



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Lectures




Gallimard

(Janvier 2022)
Format 18,5 x 23,5 cm
96 pages - 16 €


Traduit de l'italien par
Danièle Valin


Dessins
d'Alessandro Mendini
(1931-2019)
architecte et designer
italien



Erri De Luca,
né à Naples en 1950, romancier, nouvelliste, poète et traducteur, a notamment obtenu le prix Femina étranger 2002
pour Montedidio.

Bio-bibliographie sur
Wikipédia



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