Abdellatif LAÂBI

La poésie est invincible


Maintenant dans l’année de ses quatre-vingts ans, Abdellatif Laâbi évoque ici « l’insolence de la vieillesse », quand sa vie « ne tient plus qu’à un fil », mais aussi l’espoir, la liberté, et la poésie, bien sûr, sa passion, sa « première langue », son « art premier », sa « gloire et sa perdition », sa religion, « une religion qui cultive le doute plutôt que la foi, la désobéissance plutôt que l’allégeance ». Un recueil riche et dense qui, avec beaucoup de lucidité, d’humour et d’émotion, met en évidence ce qui est essentiel et constitue le fil conducteur de la vie du poète.

L’auteur commence par remercier pour chaque jour de plus que lui offre la vie et c’est un thème fort du recueil : le vieillissement, la fin de vie qu’il aborde avec sérénité même s’il n’y a rien après : « J’ai vu tant de personnes mourir autour de moi mais je n’ai assisté à aucune résurrection ! ». Mais ce n’est pas le thème essentiel.

Son humanisme, sa passion pour la liberté, la justice, l’amour et la poésie, traversent toutes les pages. Ses valeurs sont omniprésentes comme dans le poème « Les chouias » dont chaque strophe évoque un « chouia » nécessaire à la vie : un chouia de bonheur, d’espoir, de santé, d’amitié, de poésie, de bienveillance, d’émerveillement et « un plus que chouia d’indignation ».

L’indignation contre la violence dans un poème à la mémoire de Samuel Paty : « Comment l’un de nous / un jeune homme / à peine sorti de l’adolescence / en arrive-t-il à bondir sur son prochain / et lui trancher la tête / comme ça ! »
L’indignation contre l’arbitraire et l’intégrisme religieux dans « J’ai un ami en prison » où il évoque le sort d’Ashraf Fayad un poète condamné pour apostasie en Arabie Saoudite à la suite de propos assez libres sur la religion tenus dans un café. Huit ans de prison (sept maintenant effectués) et huit cents coups de fouet (les deux tiers déjà reçus) ! Il lui reste une année à purger « la plus dure si j’en juge d’après mon expérience en la matière ». Rappelons-nous les huit ans et demi de détention d’Abdellatif Laâbi au Maroc de 1972 à 1980 pour "atteinte à la sûreté de l’état" !
L’indignation contre le sort des migrants. Comment contempler la mer sans penser à tous « les désespérés venant des quatre coins de l’Enfer », « ce nouveau peuple n’ayant d’autre identité que son endurance »,
L’indignation contre les inégalités et « la malédiction du genre » comme dans « Le sublime et l’abject » avec l’absurde contradiction d’un monde où d’un côté on pose un robot sur Mars et de l’autre, dans le film d’une cinéaste saoudienne, un vieil homme refuse d’être ausculté parce que le médecin est une femme…

L’auteur consacre une partie du recueil à une forme ancienne, les « robaiyates », un poème constitué de quatrains. Ici il y en a vingt-deux où il nous incite à entrer dans une danse et se dépouiller de tout, « Vous n'aurez d'identité que celle inscrite dans vos yeux ».
« Siècle après siècle, vous vous rapprocherez de la plénitude
De la vipère de la mort, vous aurez réussi à ôter le venin
Vos arts et vos lettres connaîtront une glorieuse renaissance
Dont on peut deviner sans mal les promesses »

Et la dernière partie, qui donne son titre au recueil, rappelle que rien n’arrête la poésie qui « est de tous les combats », qui « marche au milieu de la multitude des migrants » et « arpente où qu’ils soient les camps de réfugiés ». « Que de poètes ont été vaincus par la vie, la traîtrise, les déconvenues de l'amour, le sadisme des despotes… », « Que de poètes s'en sont allés sans avoir connu de leur vivant la moindre reconnaissance » mais la poésie, elle, « ne s'est jamais rendue ».
Et l’auteur termine sur ces mots : « La poésie est invincible ! »

Le livre s’ouvre et se referme sur deux textes de Jacques Alessandra qui, dans la préface, présente avec finesse le contenu du recueil et, en postface, dresse une « carte d’identité poétique » rappelant le parcours d’Abdellatif Laâbi et le lien indéfectible entre sa vie et son œuvre. « La poésie de Laâbi est une poésie du présent, en relation avec le plus vivant du monde, toujours avide d'accompagner l'humain dans ses instants les plus familiers comme dans ses combats les plus graves. »

Un recueil magnifique et salutaire, sans aucune compromission avec les adeptes de l’hermétisme et de la vacuité, un recueil qui peut toucher bien des lecteurs par la beauté de l’écriture, la force des mots et la multiplicité des thèmes abordés, un recueil à lire, relire, offrir et conseiller autour de soi.

Serge Cabrol 
(04/03/22)    



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Poésie








Le Castor Astral

(Février 2022)
160 pages - 9 €












Site de l'auteur :

www.laabi.net










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Bernard Ascal