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Agnès DUMONT & Patrick DUPUIS


Le trou du diable


Fils d’un ancien mineur et amateur de randonnées en solitaire, l’Ostendais Alan Vandenberg décide d’aller en forêt de Viroindal visiter d’anciennes ardoisières souterraines « au fond desquelles, au dix-neuvième siècle, des hommes avaient risqué leur vie pour des salaires de misère » sur un site nommé le « trou du diable ». Soudain il glisse et se retrouve tout étourdi mais indemne au fond de l’une d’entre elles. Quand pour étudier de plus près sa situation l’homme explore la grotte à la lumière de son smartphone il découvre qu’il n’y est pas seul :  un cadavre de femme gît à un mètre de lui. Pour lui l’exploration du jour tourne court et la police alertée prend les choses en mains.
Au même moment, Roger Staquet, inspecteur retraité vivant à Louvain-La-Neuve et Paul Ben Mimoun, jeune collègue de Namur avec lequel il s’est lié d’amitié, passent le week-end à quelques kilomètres de là chez la mère du plus jeune qui vient d’emménager à Nismes dans la région de Couvin où vit déjà sa vieille amie Monique. C’est l’arrivée de celle-ci tôt le matin qui ce dimanche réveille en fanfare toute la maisonnée. Très agitée elle raconte que René Letellier, respectable professeur de piano qu’elle connaît de longue date, vient d’être accusé du meurtre d’une de ses élèves, Valérie Janssens, retrouvée sans vie par Alan Vandenberg au trou du diable. Paul, qu’elle connaît depuis l’enfance, pourrait-il l’aider à disculper cet innocent ? Quand quelques heures plus tard un appel téléphonique lui annonce la tentative de suicide du pianiste, Monique victime d’un AVC s’écroule et se voit immédiatement transférée aux urgences. Quand elle reprend ses esprits à l’hôpital, Paul pour la rassurer s’engage à se renseigner discrètement sur cette affaire. Qui donc a bien pu tuer Valérie Janssens, cette jeune veuve discrète et serviable engagée dans la défense du patrimoine local qui travaille dans un cabinet notarial et pourquoi ? Est-ce son accident cardiaque qui explique l’imprécision et la confusion des propos de Monique d’ordinaire si volubile ? Quelles raisons a-t-elle de vouloir si ardemment disculper ce René Letellier déjà suspecté d’agression sexuelle sur une jeune élève dans sa jeunesse dont la tentative de suicide pourrait accréditer la culpabilité ? Que s'est-il réellement passé, y-a-t-il eu viol ? Quel est le mobile du crime ?
Quel rôle jouent dans cette affaire Jean-Lou, le fleuriste baraqué qu’« on aurait mieux imaginé à démonter un moteur ou construire un mur de briques », Phil Willems, cet agent immobilier dont les visites nocturnes en Saab jaune décapotable avaient éveillé la curiosité de la voisine de la victime ou Sonia la présidente de l’association des défenseurs des remparts qui en est l’unique héritière ?  L’attraction exercée par la vieille demeure familiale de Letellier depuis qu’elle a servi de décor à une célèbre série a-t-elle eu un impact sur ce crime ? Ni l’étrange agression dont Roger et Paul ont été victimes dans les ruelles désertes du village, ni plus tard le tabassage aux allures d’intimidation et d’avertissement subi par Paul une nuit dans un parking, ne dissuaderont les deux comparses de poursuivre cette enquête officieuse. Des pistes s’ouvrent, certaines hypothèses tombent d’elles-mêmes quand d’autres semblent se préciser et entre non-dits, parasitages et mensonges les questions s’accumulent...    

                    Comme toujours avec le duo d’excellence que forment Agnès Dumont et Patrick Dupuis, l’équipe de choc composée de ces deux policiers francs-tireurs et de Clarisse, la jeune journaliste qui depuis leur première enquête ne manque jamais de les rejoindre, est déjà en elle-même, littérairement parlant, d’une imparable efficacité. Que ce soit Roger le vieux grognon sentimental que l’on imaginerait bien sous les traits du Jean Gabin disant les répliques écrites pour lui par Michel Audiard, Paul le jeune policier qui manque d’assurance mais non de courage et de détermination qui a trouvé chez Roger l’image du père qu’il n’a pas eu ou Clarisse la fouineuse perspicace, audacieuse et militante qui fait soupirer d’amour le jeune commissaire qui n’ose toujours pas se déclarer, ils ont non seulement chacun leur personnalité et se complètent mais forment aussi un trio inter-générationnel lié par une véritable affection respectueuse. Ils croiseront dans Le trou du diable comme dans chacune de leurs aventures de nombreux, étranges et savoureux personnages. À ceux déjà évoqués précédemment on peut ajouter « un garagiste cinéphile très véreux et très bête » fou de voitures de collection, un notaire apparemment au-delà de tout soupçon, une femme de ménage bien curieuse, un vagabond aux manières élégantes qui n’a pas les yeux dans sa poche mais « ne veut en aucune manière avoir affaire aux flics »…

L’autre constante des aventures de Roger et Paul est la découverte en fort bonne compagnie qu’elles nous proposent du territoire belge, ses régions, ses paysages, ses villes, de sa population cosmopolite, de sa culture et son patrimoine, dans toute sa spécificité. Ainsi, après Louvain-la-Neuve et Liège, le duo imaginé en deux mille vingt par Agnès Dumont et Patrick Dupuis nous embarque cette fois dans la région de Namur et la Wallonie où se trouve outre les ardoisières du trou du diable la cathédrale Materne et sa vierge noire de Walcourt. Encore quelques opus et cette série pourra être considérée comme un singulier guide touristique éclaté en plusieurs volumes.

Cette série policière, assez classique et qui respecte les codes du genre, nous renvoie à de multiples reprises à des questions sociales, à notre environnement technologique, à notre société contemporaine et aux événements qui traversent son présent en écho à l’actualité la plus immédiate. L’urbanisme et la question immobilière sont ainsi plusieurs fois évoquées dans Le trou du diable, avec la villa Letellier venant illustrer le tourisme qui se développe sur les lieux de tournages des séries, avec la question de la spéculation foncière à Nismes ou la bétonisation de la côte belge. L’écologie, à travers la crue de l’Eau noire ayant provoqué en 2021 une importante inondation mais aussi de rapides dénonciations de la surconsommation et un duel assez savoureux entre les deux amis au sujet de la mal-bouffe et la gastronomie, n’est pas en reste. Le mouvement #MeToo en lien avec René Letellier et le Covid avec son « masque réglementaire apposé sur le visage tel une vignette de circulation sur un pare-brise suisse », parviennent aussi à s’y glisser.   

Le trou du diable est un roman policier efficace à l’intrigue crédible et validée par un ancien commissaire divisionnaire (comme tous ceux de la collection Noir corbeau), menée de façon efficace sur le rythme des révélations ou rebondissements qui s’enchaînent avec vivacité. La fantaisie et l’aspect ludique y sont manifestes. La langue s’accorde en de nombreux et vifs dialogues à la personnalité des protagonistes comme on le voit dans ce passage :
« – Quel langage ! Il parle de la maréchaussée, emploie des mots latins.
– Je me demande ce qui a pu lui arriver pour qu’il devienne chemineau, répondit Roger songeur.
– Vous croyez qu’il travaillait dans les chemins de fer ?
– Disons plutôt, ma chère Clarisse, que ce Biloute un peu vieille France vient de me replonger dans d’anciennes lectures. J’ai utilisé le synonyme – passé de mode j’en conviens – de vagabond ».
Quand Roger parle de « La jouvencelle callipyge qui trône derrière le bar », Clarisse, toujours directe, dit à Paul à propos de la vidéo de Phil Willems qu’il était « difficile de croire à ses aveux tant il avait l’air tendu, mais c’est sans doute normal quand on s’apprête à se suicider » quand Paul n’économise ni les jurons quand il se retrouve en position délicate, ni les maladresses verbales avec Clarisse ou Roger. « On ne fait pas un pèlerinage, Papy, interrompit Paul. Je mets le GPS. »
L’humour est ici permanent que ce soit dans les répliques que le trio s’adresse, dans diverses descriptions (« D’une main baguée à la Johnny Deep, tête de mort en argent et lourd cabochon, le vendeur désigna une porte dans le fond de son show-room hollywoodien ») ou dans des formules qui au fil de l’enquête transforme le meurtre en comédie.  

Ce qui, outre l’écriture croisée du roman et cette inscription forte dans la Belgique déjà évoquée, fait la singularité du Trou du diable, c’est avant tout ce trio généreux, complice et amical plein d’audace et de drôlerie sur lequel reposent à la fois l’enquête elle-même et l’atmosphère chaleureuse et ludique qui lui sert d’écrin. Il y a là un aspect profondément humain dont le lecteur sent bien qu’il est au-delà de l’exercice et du jeu essentiel pour les auteurs.  
S’il n’est pas utile d’avoir lu, dans l’ordre ou le désordre, les deux précédents opus concoctés par Agnès Dumont et Patrick Dupuis pour prendre grand plaisir à cette lecture, celui ressenti par les fidèles lecteurs des aventures de Roger Staquet et Paul Ben Mimoun en seront cette fois encore pleinement conquis.      

Dominique baillon-Lalande 
(24/03/23)    



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Noir & polar









Patrick DUPUIS & Agnès DUMONT, Le trou du diable
Weyrich
Collection Noir corbeau
(Octobre 2022)
245 pages - 20 €













Agnès Dumont
vit et travaille à Liège.


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trois recueils
de nouvelles
d'Agnès Dumont :

Mola mola

À qui se fier ?

Je je dis jamais non













Patrick Dupuis,

né en Belgique en 1950, nouvelliste et romancier,
a cofondé les éditions Quadrature en 2004.


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deux recueils
de nouvelles
de Patrick Dupuis :

Nuageux à serein

Enfin seuls ?






ainsi que les premiers volumes de leur série policière :


Une mort
pas très catholique



Neige sur Liège