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La Trace, 2024
Alain CADÉO

(1951-2024)


Billets de contrebande

« Un rien m'agresse, j'ai tellement besoin de paix ! Une broutille me tourmente, mais s'il s'agit de regarder la mort de près, de lorgner le néant ou de foutre le camp dans le siphon de l'infini, j'y vais fleur au fusil, clin d'œil à la camarde et coup de pied au cul du petit aujourd'hui. » (Billets de contrebande, page 105)

Alain Cadéo est décédé le 12 juin, à 73 ans, après un parcours d’écriture riche et éclectique, une vingtaine de livres, alternant romans, théâtre et textes divers comme ces Billets de contrebande, regroupés en un ouvrage paru en mars dernier qu’il introduisait ainsi : « Sans doute faut-il considérer que ces billets quotidiens se suivent, s'enchaînent, dans un ordre relativement chronologique, mais se laissant chacun totalement porter au gré de capricieuses inspirations et de ces vagues régulières venant frapper l'infranchissable porte des "pourquoi". Ils n'ont au fond d'autre fil conducteur qu'une obsessionnelle réflexion sur et autour de l'écriture... et d'autre but que de laisser parler la voix tiède et feutrée, belle amie bohémienne, de mes petits matins. »
Dans ces Billets de contrebande, Alain Cadéo aborde évidemment de nombreux thèmes, au fil de ses réflexions matinales, mais toujours avec beaucoup d’exigence quant au choix de ses mots. Les mots, l’écriture, l’idée, l’image, il y revient souvent, et les évoque sous de nombreuses formes, filant des métaphores très diverses :

Une renarde : « L'idée est ma renarde, je la sens s'approcher. Elle est sauvage, craintive, fait des allées et venues, s'arrête, hume l'air et les vapeurs de mousses, d'écorces de chênes et de gros champignons. Elle me regarde, comme les loups, par en dessous. »

Une amie : « L'écriture est bien ma seule amie. Volage, craintive comme la tourterelle, absente et cruelle comme un fouet, aussi pâle et fuyante que l'encre sympathique, rarement révélée par le citron de mes envies. »

La pelote basque : « Ils sont si rares ceux qui répondent à mes billets. Je joue tout seul donc, et à mains nues, contre un fronton de ciment lisse, à la pelote basque. J'aime cette image d'une balle frappée, paume ouverte ou poing fermé, cognant de son bruit sec un grand mur blanc nous renvoyant impassible, force, beauté, imperfections, mollesse, précision, chacun de nos envois. »

Des chiens : « C'est fini, tout est dit, je m'en vais de ce pas faire mes courses sur le marché puis je retournerai éplucher des pommes de terre ? Les mots s'en vont alors, regards en coin vers leur immense forêt comme des chiens abandonnés qu'on n'aime plus. Plus de gamelles, plus de caresses, plus de minauderies. On leur tourne le dos. »

Un troupeau : « Il m'a fallu longtemps pour comprendre où j'allais avec ce troupeau demi-sauvage de mots à cornes sans grelots, de bêtes ruminantes aux longs poils torsadés, pouvant d'un coup de tête t'envoyer au zénith comme te piétiner dans un furieux galop. Ce sont de bons et braves animaux mais qu'il vaut mieux ne pas se mettre à dos. J'y ai glissé, dans ce troupeau, des bouquetins, chèvres sauvages, chamois, lamas, une poignée de daims, des bisons, un couple de mammouths tirés vivants des glaces éternelles. C'est ma horde. Ils ne me quittent pas, me suivent, je suis le pâtre de cet universel cheptel de roi. »

Des poissons : « Allez, braconnier des forces invisibles, au boulot du matin ! Je pose mille lignes dans la rivière des idées. Ça mord, ça pite, ça grignote, je ferre et je ramène un plein seau d'alevins. Je voudrais du saumon, de la truite mouchetée, du brochet moustachu, de l'anguille luisante et vive comme un fouet. Je les vois tous passer, contre-courant, comme immobiles, mes rêves mordorés, gras, agiles, l'œil rond... Et ils me font la nique avec mes moulinets, mes ruses de loufiat, mon matériel de plouc juste bon à chopper des gobies, du goujon. Et à défaut de carpe je mange de l'ablette. »

Ce ne sont là que quelques pépites glanées au fil des trois cents pages de ce recueil qu’on lit et relit avec gourmandise et admiration, pour le talent, pour l’humour et pour l’humilité !

Les lecteurs curieux pourront aussi retrouver sur notre site les articles que nous avons consacrés à plusieurs de ses ouvrages :

Zoé, roman, Mercure de France, 2015

Chaque seconde est un murmure, roman, Mercure de France, 2016

Comme un enfant qui joue tout seul, roman, La Trace, 2019

Des mots de contrebande, texte, La Trace, 2018

Mayacumbra, roman, La Trace, 2020

En dernière page des Billets, Alain Cadéo évoque la fin des mots : « On nous l'a rarement fait comprendre mais on le sait confusément, le Silence éternel et délicieux ne se gagne qu'après l'exubérance tropicale de ce qui pousse, met sans arrêt le monde en mouvement et envahit l'esprit... jusqu'à enfin pouvoir se taire, l'âme légère et sans abri, hors du Temps, hors du bruit. »

Il s’est tu mais nous laisse heureusement tous ses livres où nous pouvons plonger avec plaisir et retrouver ses mots. L’auteur meurt mais son œuvre reste vivante…

Serge Cabrol 
(01/07/24)    




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Pour mémoire









Alain Cadéo
(1951-2024)






Zoé




Chaque seconde
est un murmure




Comme un enfant
qui joue tout seul




Des mots
de contrebande




Mayacumbra




La dédicace de l’auteur pour les Billets de contrebande