Pascale
Gautier




«  Il est urgent d’écrire des livres
qui, chacun à leur façon,
tirent une sonnette d’alarme
ou témoignent.
 »




Vous avez une voix très singulière comme écrivain ?
Je l’espère !

C’est bien d’avoir sa propre voix d’écriture ?
En tout cas, j’y travaille.

Dans votre dernier roman paru, Fol accès de gaîté, on retrouve l’univers qui existe dans vos précédents romans.
La fantaisie, le côté un peu décalé, même le côté un peu surréaliste, et le jeu sur la langue.

Les clins d’œil aussi, il y en a souvent.
Je crois que l’on est nourri de tout ce qui a existé avant nous. On fait partie d’une chaîne. On est juste une étape, à un moment donné, un témoin de l’état de la langue. J’ai recyclé, cité, je me suis référé à… je trouve que cela fait partie du jeu, cela nourrit. Cela permet aussi de ne pas rester figé.

Ce qui est surprenant dans votre roman, c’est qu’il y a différentes approches et utilisations de la langue, il y a différents niveaux de langue.
Il y a du faux parlé, il y a du faux littéraire, il y a du liant. J’essaie de ne pas m’installer dans un seul registre. J’aime les variations, cela joue aussi sur les rythmes et la musique. J’ai une manie, je suis souvent assez maniaque depuis que j’écris, c’est d’installer, avant de me mettre à écrire, les chiffres, les chiffres du livre, la structure. Par exemple, mon premier livre, c’était Moribondes, elles étaient sept comme les femmes de Barbe Bleue.

Il n’y avait aussi que des prénoms féminins.
Un qui commençait par L, un qui commençait par P, un qui commençait par L, un qui commençait par P. Et sept nouvelles, comme le jeu des sept familles, comme mon père, ma mère, mes quatre frères et moi. Il y a une arithmétique personnelle.
Dans mon dernier roman, il y a d’abord treize chapitres, puis le « trou noir » du milieu (trois pages qui ont une justification particulière), puis encore treize chapitres.
Trois grains de beauté, c’était 21 chapitres, trois fois sept.

C’est très oulipien ce lien entre la littérature et les mathématiques ?
Oui, il y a certainement un jeu. Cela structure et permet de construire le squelette du livre. Et cela rassure ! Il y a un véritable rituel des chiffres. Une fois les chiffres choisis, je peux y aller. Chiffres et rythmes sont assez liés à mon avis. Tout cela provoque des tonalités différentes. Chaque livre, même s’il y a une certaine vivacité en commun, a un souffle différent.

Il est sûr qu’entre Moribondes et Fol accès de gaîté, la coloration n’est pas la même. Ce que l’on retrouve cependant dans chacun de vos livres, c’est un univers très particulier. Est-ce que vous préparez cela avant de commencer à écrire ?
Un peu mais pas tant que cela non plus. Au départ, j’ai commencé à écrire car je me suis sentie libérée en arrivant à Paris d’une histoire personnelle un peu fatigante. Je me suis mise à écrire après la mort d’un de mes frères. Ça a été le déclencheur.

Plus jeune, vous n’aviez jamais écrit ?
Non. Je suis la dernière fille d’une famille de cinq, j’ai quatre frères aînés, c’est un peu lourd.

Les frères sont en effet toujours très présents dans vos écrits.
Un peu moins dans mon dernier roman ! J’avais un lien assez fort avec un frère qui est tombé malade quand j’avais quinze ans et qui est mort quand j’en avais dix-sept. On avait une éducation assez fermée (comme les principaux personnages des romans que j’ai écrits), peu de contacts avec l’extérieur, cette histoire-là a eu une ampleur assez dévastatrice. Du coup, je pense qu’elle a avivé ou aidé à faire que ce qu’il y avait dessous sorte. Tous les premiers livres jusqu’à Folies d’Espagne, qui était le quatrième, m’ont permis de « purger ».

Mais dans le premier, Moribondes, il n’y avait pas de frères. Autre chose se purgeait ?
Oui, c’était le morbide, la fascination du suicide, de la mort.

Que l’on retrouve dans d’autres livres aussi.
Oui, mais je dirais que ces livres-là sont plus "graves". Ce n’est pas que le dernier ne soit pas un peu grave mais, passé le cap de Folies d’Espagne qui était aussi un recueil de nouvelles, j’ai eu l’impression d’être plus dans l’écriture que dans mon histoire personnelle. Maintenant, je me sens assez libérée et prête à aborder d’autres thématiques plus proches de celles abordées dans mon dernier roman.

Dans Frères, en effet on perçoit un nœud important qui sous-tend le roman.
Oui, il y a l’écrabouillement de la petite dernière par les quatre frères qui s’appellent tous Bernard. J’en suis assez contente de celui-là.

Violent aussi à la fin car c’est l’élimination radicale.
Radicale, c’est vrai. Les livres servent à cela.

Il y a souvent donc ce rapport aux frères, aux hommes aussi.
Oui, au rapport de force dans les couples. C’est lié à tout ce que j’ai ressenti petite. Tous ces couples un peu désastreux comme dans Mercredi. Les Pompon, de braves gens qui s’emmerdent, qui sont là parce qu’ils ne savent pas, parce que finalement pourquoi pas. Ils attendent que le temps passe. Je me suis beaucoup ennuyée petite, j’avais un regard un peu faussé.

Vous lisiez beaucoup quand vous étiez enfant ou adolescente ?
Oui, je suis fille de prof, il y avait des livres partout et l’on n’avait pas le droit de faire grand-chose d’autre. On ne regardait pas beaucoup la télé. Je lisais beaucoup, et je n’y comprenais rien. J’ai lu petite les tragédies grecques, je n’y comprenais rien mais je suis sûre que des choses sont restées et m’ont marquée. Maupassant aussi, à dix ans, je lisais ses nouvelles, des textes pas très gais en plus et je pense qu’il m’a beaucoup marquée. Ses textes sont très aigus, très forts. Je me suis véritablement shootée aux nouvelles de Maupassant !

Ce sont souvent des nouvelles où le lecteur est confronté à deux points de vue diamétralement opposés et Maupassant laisse le lecteur libre de son opinion.
Le regard sur l’humain est assez noir chez Maupassant. Je pense qu’actuellement nous vivons aussi en pleine tragédie. On ne veut pas le voir ni l’entendre mais la tragédie est là.

C’est ce que j’ai trouvé très intéressant dans votre roman Fol accès de gaîté, c’est la critique de la société. C’est violent et très juste.
Oui, j’ai voulu y aller !

Il n’y a pas de langue de bois mais on n’est pas non plus exactement dans notre société. On est dans un autre monde. C’est cela qui est très fort.
Le roman réaliste, ce n’est pas pour moi. Le fait d’être dans un lieu, on ne sait pas trop lequel mais on peut tout de même l’identifier, dans un aujourd’hui qui peut-être demain ou hier, avec des personnages assez typés, rocambolesques, mais aussi quotidiens, cela me donne une marge de liberté. Dans cet espace-là, je me sens à l’aise pour aller à fond sur la critique de la situation que nous vivons actuellement.

La situation actuelle est dramatique.
Et l’on y va joyeusement ! Les politiques sont largués, dans leur ego, dans leurs petites luttes de pouvoir. Ils ont un rapport au réel complètement faussé. Et le réel va exploser. C’est un peu cela que je voulais rendre dans mon roman.

Et cette mise à distance, cette ironie renforce votre propos.
On sent que globalement, cela va mal. Mais, et c’est là que je suis moins pessimiste qu’à mes débuts, les quelques personnages principaux, ceux qui vont partir vivre autre chose, ceux-là ont quand même pas mal d’humanité. Il y a une vraie tendresse entre eux, c’est quasi rien mais c’est encore là.

Ils ont le désir de se battre pour sortir de l’ennui et du quotidien.
Ils veulent s’inventer une vie.

Et créer de nouvelles relations, car monsieur Ploute et son fils Achille ont le souhait de recréer un lien entre eux à la fin du roman.
Absolument, ce qui est une première dans mes livres, une grande première car d’habitude cela ne se termine pas aussi bien. Il est urgent d’écrire des livres qui, chacun à leur façon, tirent une sonnette d’alarme ou témoignent. J’ai lu récemment Les vivants et les morts de Gérard Mordillat. C’est un roman social remarquable, on est dans le réalisme. C’est un peu comme Zola aujourd’hui, sur des industries dans l’Est qui sont bradées et où on ne tient absolument pas compte des hommes. C’est un livre magnifique avec une charge d’humanité très, très forte.

Le militantisme, c’est important ?
Il faut retrouver le militantisme. Les écrivains aussi ont un peu perdu le sens du réel. Mais ça va venir. C’est en train de revenir… parce que ça commence à sentir le roussi. C’est là que le roman a sa vraie pertinence.

Il vous paraît important que l’écrivain s’engage face aux problèmes de société.
Et il me paraît important que les éditeurs publient les écrivains qui s’engagent face aux problèmes de société.

Cette année, le thème du Salon du Livre de Caen était l’engagement en littérature.
Il y a une grande urgence. Et cela va donner des textes forts. Les périodes de grand bouleversement sont en même temps très fertiles pour la créativité.

Préférez-vous écrivaine ou écrivain ? Certaines femmes ne supportent pas qu’on les dise écrivaines !
C’est certainement important mais je n’arrive pas vraiment à me prendre très au sérieux là-dessus. L’essentiel, c’est l’écriture. Pour l’avenir, si je continue à écrire, je crois que ce sera important de continuer dans une veine engagée.

Mais pas un engagement militant…
Pur et dur, non ! Je ne pense pas avoir la personnalité pour.

Votre propos grinçant dénonce avec ironie.
Le livre de Mordillat va très loin. Il est dans le réalisme. Et c’est terrible. Il pousse la porte. C’est cela la force d’un roman, logiquement. C’est son épaisseur romanesque. Il y a l’idée, la conviction ou l’engagement mais c’est surtout comment la/le mettre en scène, comment la/le faire passer et qu’il y ait la bonne distance.

Et souvent, c’est ce que l’on met en second plan qui prend de la valeur et ressort.
Absolument, il faut que les personnages et les trames aient suffisamment de densité. C’est ce qui prendra le lecteur. Plus il est embarqué, plus il intègre aussi l’idée qui sous-tend l’ensemble. La structure et la chair du texte sont primordiales.

Vos personnages portent toujours des noms très particuliers comme la famille DPDLPM, monsieur Ploute ?
Et Marie-Augustine, Le Boldec… C’est un jeu auquel je ne résiste pas.

Ces noms ont souvent des sonorités étonnantes ?
Comme mes personnages sont très décalés, comme des caricatures, le nom est déjà une espèce de griffe. Et puis ça doit me rassurer aussi, je crois. C’est une façon de ne pas vouloir se prendre au sérieux tout de suite. C’est mettre des masques. Et j’aime bien ce jeu sur les sonorités. C’est une pratique très personnelle et un amusement. Et en plus, c’est une logique qui fonctionne depuis mon premier livre. Dans Les Amants de Boringe, les six filles Dubois ont des prénoms qui commencent par A. C’est peut-être un amusement de gamin ! Pour les noms de famille, dans Trois Grains de beauté, il y a les Cuq, les Duc et les Ruq. Beaucoup de mes personnages n’arrivent pas à sortir des liens familiaux. En somme, ils sont déjà écrasés par leur propre nom. Mais cela peut être aussi très fantaisiste. C’est peut-être aussi lié à ce fait réel : dans ma famille, de génération en génération, la fille aînée de la fille aînée avait comme prénom Clélie. Ma mère, qui était la fille aînée, s’appelle Clélie. Sa mère, qui était la fille aînée, se prénommait également Clélie… Il y a donc, avant moi, toute une clique de Clélie ! Et je suis la première, dans la chaîne, à ne pas m’être appelée Clélie. Ma mère a peut-être voulu manifester à sa façon un certain ras-le-bol. Elle a osé m’appeler Pascale. Elle est restée dans les normes quand même parce que je suis née à Pâques ! Donc la religion… Mais je pense que le fait de ne pas m’avoir appelée Clélie a eu une incidence véritable sur mon existence.

A certains moments vos personnages sont dans une certaine confusion liée à leur nom ou leur prénom. Ils ne parviennent pas à trouver leur place. Au point parfois de n’être plus identifiables. Dans Trois grains de beauté par exemple…
Et le sommet étant dans Frères où je les ai tous appelés Bernard !

Vos personnages sont toujours en quête de sens…
Oui, et aussi d’une place. Dans Les Amants de Boringe, Hélène cherche sa place et jusqu’à la fin il n’y en aura pas… Dans ma famille, avec les garçons, la place, ça n’existait pas. Il fallait crier très fort, c’est pourquoi j’ai un goût pour la castagne assez développé.

C’était la loi de la jungle ?
C’était la loi des frères.

Vous étiez la benjamine ?
Oui. Tous ces frères, et le père en plus ! Ça fait beaucoup ! Le problème de la place, de l’identité, est récurrent dans mes livres.

Dans votre dernier roman, il y a un tricotage entre la quête intérieure de chacun et puis la place dans la société. Il y a une autre dimension.
Oui, on n’est plus seulement dans l’histoire familiale. Ça s’est un peu ouvert sur la société qui a l’air d’aller aussi mal qu’une famille. La société est une grosse famille en très mauvais état ! Achille, le héros de l’histoire, a une idée par rapport à tout cela : la solution, c’est de partir.

Il y a toujours ce rapport au fantastique, à l’onirique, au ciel…
Le ciel est très présent, ce doit être mon côté catho ! Pascale, née à Pâques ! De mon éducation très religieuse, je n’ai pourtant gardé aucune foi… C’était trop dogmatique. Comme une punition.

La religion chrétienne met en avant la faute, la punition…
Dans ma famille, c’était vraiment le jugement, la faute… Je crois (j’espère !) que certaines personnes vivent leur religion plus dans le sens du pardon, de la tolérance. Mais ce n’était pas le cas dans ma famille. Cette culture-là m’a marquée.

La fin de Fol accès de Gaîté est ouverte sur le ciel. Pour vous, le ciel est plutôt positif.
Aboutissement infini de l’homme ! Le ciel et les constellations sont très présents dans mes romans, comme une grande respiration possible.

Vos personnages sont très forts. Comment les construisez-vous, les avez vous précisément en tête ou s’incarnent-ils petit à petit ?
Pas tant que cela. J’étais partie de monsieur Ploute qui apparaît dans Le chiendent de Queneau comme une petite silhouette. J’aime beaucoup Queneau.

Il y a souvent des clins d’œil à Queneau.
Oui, c’est pour dire l’admiration que j’éprouve pour ces livres. Il est aujourd’hui tombé dans les oubliettes. C’est une fantaisie et une gymnastique verbale que l’on ne pratique pas beaucoup. J’étais donc partie de monsieur Ploute puis est apparue une idée plus générale – celle d’un départ. Puis l’aristo dégénéré est apparu, puis la brave Portugaise catholique... Ce sont des personnalités marquées que j’ai mises en parallèle et, très vite, les histoires sont parties ainsi. C’est comme un fourmillement de petites histoires, d’individus, de solitudes. Cela grouille et part un peu dans tous les sens, en apparence, et en fait chacun sort de chez soi, chacun s’en va.

Sort de lui-même aussi.
Absolument, sort de chez soi et de soi, pour une quête. Des solitudes se croisent mais il y a aussi de vraies rencontres.

Comme par exemple entre monsieur Ploute et Marie-Augustine.
C’est une histoire qui me plaît. D’un point de vue technique, c’était très intéressant à écrire.

Et parfois, vous intervenez dans le roman en tant qu’auteur.
J’aime bien le faire de temps en temps. Pas dans chaque roman mais c’est le cas aussi dans Mercredi, roman publié chez Phébus, où il y a une voix off. Dans Fol Accès de gaîté, il y a César et Angèle Pompon, qui passent à la télé dans l’émission "Comme si vous y étiez"» ; ils étaient les héros principaux de Mercredi. Là aussi je me suis amusée.

Il y a des liens, des échos entre certains personnages de livre en livre.
C’est vraiment comme des suites. J’ai donc repris un peu le même ton qui, pour une critique sociale, collait bien.

Vous avez souvent changé d’éditeurs ?
Et oui, ce qui ne simplifie pas les choses, c’est que je travaille dans l’édition. Jusqu’à Joëlle Losfeld, j’ai beaucoup changé mais, chez elle, j’ai déjà publié deux romans et elle a réédité Moribondes. Elle va rééditer Les Amants de Boringe, l’année prochaine. Je suis ravie, je m’installe enfin chez quelqu’un. Les deux premiers chez Fixot, on a rompu le contrat car je travaillais chez lui à l’éditorial et c’est très difficile de travailler et d’être auteur dans la même maison. Ensuite j’ai signé chez Quai Voltaire à un moment très critique pour cette maison (1992). Ensuite j’ai signé avec François Bourin chez Julliard pour un recueil de nouvelles, il l’a programmé plus d’un an après et s’est fait remercier entre temps... Pour Frères, au Castor Astral, c’était une commande.
Chez Joëlle Losfeld, je me sens un peu comme chez moi, ce que je ressens comme un luxe. Pour les auteurs ce n’est jamais facile entre les mouvements de l’édition, les maisons qui périclitent ou qui sont rachetées, sans compter le mouvement des gens. Pour rester longtemps chez un éditeur quand on n’est pas une star, c’est compliqué.

A part Frères, vous n’avez donc jamais écrit de textes de commande ?
Non, je n’en écris pas et Frères j’avais accepté mais cela m’a stressé un maximum. En fait, bizarrement, c’était peut-être pas mal. Il faudrait que je réessaye, c’est un drôle de truc.

Les textes de commande, cela permet parfois d’aller explorer des lieux auxquels on n’aurait pas pensé tout en écrivant comme l’on veut.
C’est ça, les autres je n’ai jamais de contrat, j’écris ce que je veux et après je le présente, je suis libre dans ce que je fais. Le contrat d’avance, certains auteurs aiment bien pour être rassurés mais moi je ne suis pas sûre que cela me convienne. J’aime bien une assez grande liberté.

Quand vous commencez à écrire un texte, vous savez si ce sera un roman ou des nouvelles ?
Les deux recueils de nouvelles ont été les deux livres où j’ai écrit le plus directement sur la mort ; la nouvelle m’a permis de traiter ce thème-là. La nouvelle, c’est un exercice très différent du roman, c’est de l’écriture pure, cela a un côté expérimental. Le roman, on part dans un monde, dans une histoire, on trimballe des personnages pendant des mois. La nouvelle, c’est quelque chose de très aigu, au couteau. Folies d’Espagne est un tombeau : treize nouvelles évoquent la Mort et la mort de mon frère. Je pense que ce thème-là, de façon frontale sur une plus grande longueur, j’en suis incapable.

Ce n’est pas forcément morbide. Dans Moribondes, le suicide est présent mais c’est aussi l’ennui qui est traité.
Oui, ce sont des moribondes vivantes, ce sont des vivantes mortes. Le suicide à la fin, c’est presque la figure de style, c’est la chute. Elles y vont avec une certaine tranquillité. L’horreur est avant, dans le quotidien. Dans Folies d’Espagne, il s’agit de la Disparition. La nouvelle est plus intime, on fouille différemment, et j’avoue ne pas savoir si je vais encore écrire des nouvelles. Je n’en ai aucune idée.

Quand vous terminez un texte vous en commencez rapidement un autre ?
Au moins un an de blanc pour bien oublier, respirer. De toute façon, on y pense toujours mais j’ai besoin de pause. Certains auteurs sont tout le temps dans l’écriture, moi non.

Vous écrivez quand ?
Le week-end. Je m’enferme le dimanche. Je peux travailler de 9h du matin à 8h du soir quand je suis dans mon texte. Fol accès de gaîté, je l’ai écrit très rapidement, en deux mois et demi mais il y avait eu deux ans de blanc avant.

Il avait mûri ?
Certainement, j’ai eu l’impression de courir après mon texte ! C’était quelque chose de très étonnant.

Il y a un sacré rythme d’ailleurs. Comme il a été écrit rapidement, cela a donné cette respiration particulière. On a envie de le lire vite aussi.
Les écrivains qui ont leur ouvrage quotidien, qui peaufinent et reviennent régulièrement sur chaque phrase, créent forcément une architecture différente.

Vous n’êtes pas parasité par votre travail d’éditrice ?
Je n’ai pas l’impression mais certainement oui. J’aime beaucoup mon travail, je pense que j’ai une chance réelle de pouvoir travailler avec des gens qui sont dans la même galère que moi ; parce que c’est une drôle de chose que d’écrire ! Et travailler en plus à défendre une certaine conception de l’écriture dans une maison d’édition comme Buchet/Chastel est un pari très stimulant.

Propos recueillis par Brigitte Aubonnet 

Mise en ligne : Juillet 2006






(Cliquer sur la couverture
pour lire sur ce site
un article concernant
Fol accès de gaîté)



Bibliographie :

Moribondes
Fixot, 1988
Joëlle Losfeld, 2005

Villa Mon Désir
Fixot, 1989

Vertige
Quai Voltaire, 1992

Folies d'Espagne
Julliard, 1995

Les Amants de Boringe
Albin Michel, 1997

Mercredi
Phébus, 2000

Frères
Le Castor Astral, 2002

Trois Grains de Beauté
Joëlle Losfeld, 2004

Fol accès de gaîté
Joëlle Losfeld, 2006