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Ahmed

KALOUAZ







Votre livre Avec tes mains est un très bel hommage à votre père qui a quitté l'Algérie avec sa famille pour venir travailler en France. Vous avez déjà écrit de nombreux ouvrages : recueils de nouvelles, romans, récits, théâtre... Pourquoi ce texte ? Comment s'inscrit-il dans votre parcours d'écriture ?
Un parcours d'écriture est fait de rencontres, de coups de cœurs et souvent de hasards. Le hasard et le destin avaient voulu que ce livre attende patiemment son heure. J'ai beaucoup écrit de textes courts que l'on peut nommer nouvelles, ou nouvelles poétiques, mais il s'agit toujours de la même vie, du même monde qui défile.
J'ai toujours voulu depuis vingt ans, écrire un "livre sur mon père", sur ses amis, ses compagnons, pour que la mémoire demeure, demain on ne saura plus rien. Je me suis presque toujours tenu à l'écart de l'autobiographie, du récit de vie, sauf en une circonstance qui a donné le roman Absentes au Rouergue déjà.
J'ai exploré d'autres voies, et voilà que Leïla Sebbar m'a demandé un texte autobiographique sur... ma mère. J'ai rechigné d'abord, et puis j'ai écrit ça très vite. Dans ce texte, paru dans un recueil collectif, je cite de mémoire une ligne, où je disais en parlant de mon père : "De lui, nous reparlerons un jour. Il a le temps. Là où il est à présent, on dort paraît-il pour toujours."
Cela a peut-être ouvert le robinet, car un mois plus tard, est venue cette idée de dates jalonnant la vie de mon père : 42, 52, 62, 2002…
Le reste est venu comme une bobine que l'on dévide. En deux mois le livre était écrit. Même si la bobine était loin, très loin.

Vos parents étaient déjà présents dans votre roman De Barcelone au silence où vous parliez de leur vie qui a été une épreuve. Ils ont travaillé dur, ils vivaient entre deux pays, entre deux rives, entre l’Algérie et la France et le silence existait souvent entre vous. Se parler, exprimer ses sentiments est souvent difficile. L’écriture a-t-elle été un moyen de leur parler, de témoigner, de donner vie à leur existence ?
De donner vie à leur existence, oui c'est le mot. Ce sont des gens qui ont vécu des choses difficiles, et même pire. Ma mère a enduré 14 accouchements, perdu quatre enfants, dont deux en bas âge pour des maladies vénielles au regard d'aujourd'hui.
Mais, dans De Barcelone au silence, le livre tournait surtout autour du narrateur, les parents étant en quelque sorte, dans le décor, l'heure n'était pas venue encore de les mettre en avant. Il fallait vivre un peu, vieillir, écrire encore, pour arriver à épurer les phrases, trouver les mots justes, et ne pas faire un livre, juste pour faire un livre de plus.
Ce qui a suivi dans Absentes était aussi en retenu, avec toujours ce narrateur très présent, au centre de l'histoire malgré tout.
En arrivant à Avec tes mains, les choses étaient plus simples, il s'agissait d'écrire une lettre à un absent, sans lui demander de comptes, sans le juger, évidemment.
Le silence existe dans bon nombre de familles, il est même le sujet d'une quantité de livres ou de films. Chez nous, il y avait cette difficulté supplémentaire de la langue. Nous allions vers une séparation certaine par le fait d'être partagés entre deux langues, pour communiquer. Simplement communiquer. Je peux dire sans équivoque, l'Algérie n'a jamais été mon pays. Je ne lui dois pas grand-chose, c'est simplement là où je suis né, pas là où j'ai vécu.
Nos parents ont entretenu un rêve. On ne peut pas toujours faire plaisir à ses parents.
Pour finir, l'écriture n'a pas été un moyen de leur parler, mais plutôt une façon de parler d'eux, de ne pas les oublier, de prolonger leur vie.

Est-ce que l’écriture est une façon de vous parler à vous-même ?
Non. J'écris toujours pour les gens. Ceux qui viennent à mes lectures en premier. J'aime voir leurs visages, sentir leurs réactions. Les petits textes que l'on peut qualifier de nouvelles, sont toujours destinés à être lus, en priorité. Ils n'entrent dans les livres qu'au moment où je suis sûr de leur capacité à émouvoir, à toucher. Il est primordial que les lecteurs ensuite, puissent se retrouver dans ces textes. Comme s'ils disaient : " Ah oui, ça je l'ai vécu".
Il est possible toutefois que l'on se parle à soi-même, mais cela s'appelle la vieillesse.

Vous aimez donc lire vos textes en public. Quel rôle jouent ces lectures pour vous ?
Tous mes petits textes sont écrits pour être lus. Le rythme, le sens de la phrase, de la chute, tout cela joue comme une chanson. Avant de rentrer dans un livre, il passe par l'oral, qui pour le coup, n'est pas de rattrapage, car c'est là que je sens si ça touche, si ça fait de l'effet. Parfois je mets de côté ou j'abandonne des textes qui échouent à cet oral. Dans ce cas, ces lectures jouent le rôle de juge de paix, mais il arrive aussi que des gens me proposent des idées, des contraintes, pour savoir si je peux les tenir. Et en général, je les tiens. Du coup, il y a comme un échange de bons procédés.

L’absence est un thème que l’on retrouve de livre en livre dans votre parcours. Absentes est un roman qui évoque la mort de votre sœur partie à vingt-cinq ans. Est-ce que ce livre était une nécessité pour vous, pour prolonger éternellement la vie de votre sœur ?
L'écriture d'abord, avant que ce soit celle d'un livre était un réflexe, une nécessité, je ne sais dans quel ordre. Immédiatement, il ne s'agissait pas de prolonger son souvenir, mais plutôt de faire un point, sur l'état de manque, d'injustice et de douleurs ressenties par ses proches. Je ne voulais pas parler de moi, car le deuil était avant tout celui de ma mère, de nous frères et sœurs bien sûr. Un drame collectif. Après, une fois l'idée d'un livre, j'ai glissé ce personnage du narrateur qui parcourt la terre à la recherche de celle qu'il aime. Aujourd'hui, je parle souvent d'elle ici et là, avec des lecteurs, des gens qui ont connu ce genre de disparition violente, et on peut dire que sa vie se prolonge de cette façon. Au contraire de Avec tes mains, où l'idée de "redonner" vie à mon père s'est faite en dehors de toute urgence, de tout état de grande douleur.
Si l'absence traîne souvent autour de mes écrits, c'est qu'elle est une des premières formes, une des premières manifestations de la vie. Le nouveau né ne supporte pas l'absence de sa mère, l'absence d'amour. Cela reste rivé en nous.

Vous avez écrit plusieurs pièces de théâtre. Pourquoi le théâtre ?
J'ai écrit du théâtre parce que des gens sont venus me le demander. J'ai comme l'impression de m'être fourvoyé dans un monde qui n'était pas, ou qui n'est pas le mien. Le travail de plateau, le métier de comédien, les répétitions jusqu'à perdre le sens des mots, ce n'est pas mon truc.
Mais à chaque fois que quelqu'un me demandait un texte, je réagissais en sportif, en me disant : "Tu peux le faire". Et je le faisais. Je ne renie pas l'écriture, il y a des pièces comme Le vol du papillon ou On devrait tuer les vieux footballeurs qui tiennent une place de choix parmi ce que j'ai écrit.

Les thèmes de ces pièces sont assez engagés. Dans Le vol du papillon, vous parlez d'un ancien boxeur qui est aveugle suite aux traumatismes subis lors de ses combats. Pourquoi la boxe que l'on retrouve aussi dans On devrait tuer les vieux footballeurs – un titre un peu provocateur – ?
Oui, tant qu'à faire, autant s'engager, la mièvrerie, le nombrilisme, le discours d'intello, il y a ce qu'il faut sur les planches. Dans ce que j'écris, il y a toujours, à défaut d'un message, une façon de laisser des traces de l'histoire parce que là, il est question aussi de la guerre d'Algérie. Mais aussi de la violence d'un sport que l'on nous présente comme un "noble art", alors qu'il s'agit de démolir un type qui est en face de vous.
Pour On devrait tuer les vieux footballeurs, j'avais pour le titre, simplement repris les paroles d'un ancien joueur de renom. Comme les clowns, après le dernier tour de piste, que reste-t-il ? Mais ce texte parle surtout et avant tout de l'univers carcéral. Le titre a peut-être desservi la pièce, mais c'était un beau titre.

L’univers carcéral et l’enfermement sont des thèmes que vous explorez dans votre parcours d’écriture ?
Oui, cela se retrouve dans mon tout premier roman qui s’appelait L’encre d’un fait divers. C’était l’histoire d’une femme qui purgeait une peine à la prison de Rennes. On retrouve aussi l’enfermement dans On devrait tuer les vieux footballeurs. C’est à partir du premier livre que des gens m’ont invité en prison. Je crois avoir « visité » entre 20 ou 30 établissements différents. Mais lorsque j’en parle ou lorsque j’écris sur ce sujet, je suis conscient par rapport au monde que j’y croise. Il n’y a pas d’angélisme là-dedans. Ce sont des rencontres, qui pour moi, ressemblent à ce que je fais dehors. Il est parfois plus difficile de se pointer dans un L.E.P. que dans une maison d’arrêt. Pour moi, les rôles sont très clairs. Il y a d’un côté les détenu(e)s, et de l’autre, quelqu’un qui vient proposer une vision des choses.

Quel rôle joue le sport pour vous ?
Le sport, c'est ma culture. Si je ne suis pas capable de vous citer une phrase de Rabelais ou de Camus, je peux vous dire qui a gagné tel ou tel Tour de France, ou même des étapes. De vous donner la composition du quinze de France victorieux des All Blacks en 1977. C'est un truc de café des sports, mais au café des sports c'est vivant. Je signale aussi que j'ai beaucoup pratiqué en mouillant la chemise.

Vous êtes un passionné de course à pied. Le souffle joue un rôle important. Est-ce que le souffle joue aussi un rôle dans votre écriture ?
J’étais passionné mais surtout pratiquant, depuis l’âge de dix ans. J’ai essuyé mes pointes, ou râpé la gomme de mes chaussures depuis toujours. Je fais souvent référence à la course à pied, comme dans Foulée bleue, mais aussi dans Si j’avais des ailes. Le personnage de Ibrahim, clandestin de 15 ans n’y coupe pas. Ses héros sont des coureurs éthiopiens, dont le fameux Abebe Bikila qui avait remporté le marathon des jeux olympiques de Rome, en courant pieds nus.
Même si j’ai aujourd’hui le souffle court, cette activité perdure dans mes écrits.

Le vol du papillon évoque aussi un homme précipité dans la Seine une nuit de juillet 1958. L'écriture est-elle un moyen de témoigner des faits de société ?
Toujours. Comme je le disais plus haut, il faut laisser des traces des gens. Ce gars, cet anonyme s'est fait effectivement assassiner parce qu'il dormait sur un banc. Ma question était : "Pourquoi dormait-il sur un banc ?". Et à partir de là, sachant que ce gars est malien, on peut parler de racisme, de la vie qui, pour certains, ne vaut pas un rond. De la facilité dérisoire avec laquelle, aujourd'hui, on assassine, pour un mégot, un téléphone, ou un regard.

Dans plusieurs de vos livres vous indiquez les dates. Pourquoi ponctuez-vous ainsi vos textes ?
Des jalons, simplement des jalons. Je le faisais au début, mais je crois que j'ai abandonné cette façon de faire. Maintenant je sais comme le dit Ferré "que les belles années passent vite". C'est dans la vie d'artiste.

Le lieu est-il aussi un point de départ pour l'écriture comme dans Fugue Bretonne où chacun des titres des textes est un nom de lieu ?
Oui, l'enracinement dans un lieu, une région est primordiale. Dans Fugue bretonne, c'est encore plus vrai, car comme son nom l'indique, il s'agissait d'une promenade à travers certains coins de Bretagne. J'ai fait la même chose dans Je me souviens du paradis, à part que là, on traverse la France.

Comment s'impose un texte entre nouvelle, récit, roman, théâtre ? Est-ce vous ou le texte qui décide ?
Non. Je sais au départ, si c'est un texte pour un recueil qui en contiendra cinquante, ou si c'est autre chose.
Pour ce qu'on peut appeler les petites nouvelles, une fois le thème général du livre déterminé, ce qui vient se glisser dans les pages, dépend de ce choix. C'est une façon de donner de l'homogénéité à l'ensemble. Pour parler par exemple du Retour à Volonne, chacune des nouvelles est traversée par l'enfance, l'adolescence. Le point de départ de l'histoire est là. Pour La part de l'ange, il s'agit aussi de colporter de la parole perdue ici et là, de rapporter des choses a priori insignifiantes, mais qui sont l'essence de la vie.

La part de l'ange est un recueil de textes courts qui parfois résonnent comme des poèmes ou des chansons. Chaque titre donne la coloration au texte qui suit. C'est un ouvrage que vous avez écrit à différents moments pour traduite des émotions de l'instant ?
C'était un choix délibéré depuis le début, comme pour tous mes recueils de "nouvelles". Il y a une idée générale, comme pour Je me souviens du paradis ou pour Fugue bretonne. Là l'idée était de ramener des textes, avec cette idée de fuite du temps. Chaque occasion était bonne pour fabriquer un petit poème, une petite chanson. Là aussi le choix est volontaire. J'avais envie d'écrire des textes que je pouvais chanter vers la fin, pendant mes lectures. Oui, c'est une suite de moments, ou plutôt de lieux. Souvent des chambres d'hôtel, des impressions de passage comme pour le texte sur le métro Charonne, où je me trouvais effectivement à cet endroit le 8 février au matin. Et je me suis dit, "tiens il y a quelque chose à écrire".

Ecrivez-vous des textes de commande ?
Pour le théâtre, c'est ce que je faisais. J'aimais bien l'idée de contrainte. Mais pour le reste, je me donne mes propres contraintes. Si j'avais des ailes est plutôt un texte de "demande". Je ne me suis pas senti lié à l'idée de commande, jusqu'au jour où le livre s'est fait naturellement, à partir d'une phrase entendue dans un bistrot.

Vous écrivez pour la littérature jeunesse. Quelles différences ou ressemblances y a-t-il avec vos autres ouvrages ?
Je ne sais pas, j'ai longtemps tenu cette envie d'écrire pour la jeunesse, parce que je trouvais mon écriture trop "compliquée", trop poétique. Je n'étais pas certain de tenir la distance pour une prose, sans que je puisse ça et là, déposer ma patte habituelle. Le texte paru chez Actes Sud junior m'en a donné l'occasion. Il s'agit d'un monologue, où j'ai pu laisser aller l'inspiration, ne pas trop me brimer. Après, c'est pareil, l'écriture ça reste aussi du travail, du temps. Mais avec ces textes jeunesse, j'ai l'impression de continuer une forme d'écriture sociale, utile.

Si j'avais des ailes parle des Tziganes. Pourquoi ce choix ?
Parce que je traversais la Camargue au moment où l'idée m'est venue. Et puis, j'aime bien être en décalage. Ce n'est pas moi, mais oui quand même. L'histoire parle de rapport au père, parle des livres, parle de culture. L'idée est arrivée en début d'après midi, et le soir même j'attaquais l'affaire.

Un maquisard dans la cité évoque le point de vue d'un enfant sur tout ce qui est dit sur "sa cité". Il va découvrir ce qu'est la résistance. Comment est née l'idée de ce roman ?
En voyant un reportage sur des taudis. L'idée est arrivée tout de suite. Je voulais lier l'histoire locale, à l'Histoire, par le biais de l'abbé Pierre. Le résistant, et non pas le personnage que l'on connaît un peu. Il fut l'un des premiers à créer un maquis en Chartreuse puis dans le Vercors. Il l'avait appelé le "Maquis palace". Sacré clin d'œil ! Et mon petit héros, se prend d'affection pour ce personnage jusqu'à vouloir prendre à son compte cette idée, cette envie de révolte.

Quels sont vos projets d'écriture ?
D'abord deux livres jeunesse à venir. L'un au mois de septembre, Ibrahim, clandestin de 15 ans, chez Oskar Jeunesse, et en fin d'année, Le cheval d'Armand, aux éditions du Rouergue.
Des petits textes bien sûr. On en est au début. Toujours des impressions de voyage, des lieux, des gens. Un roman pour ados, avec sujet casse-gueule si j'ose dire. Les femmes battues. Sujet si peu traité, sujet tabou. Mais ça va, j'y vais. Là aussi, j'ai lu des extraits du début du livre, dans des classes de seconde, de première. Et ça jette un froid, un grand silence.
Un autre roman, sur tout autre chose, pour adultes, mais on en causera quand ce sera fini, et qu'un éditeur en voudra !

Propos recueillis par Brigitte Aubonnet 


Mise en ligne : Juillet 2009





(Cliquer sur la couverture
pour lire sur ce site
un article concernant
Avec tes mains)




La part de l'ange






Le retour à Volonne






Fugue bretonne






Ce que la vie
fera de nous






Géronimo


































Si j'avais des ailes






Un maquisard dans la cité











Bio-bibliographie
de Kalouaz
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