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L’histoire vous la connaissez tous, c’est ce que les médias ont qualifié de « printemps arabe ». La pièce commence avec Mohamed Bouazizi, un marchand ambulant auquel la police interdit d’exercer son gagne-pain, qui saisit sa marchandise en l’insultant et le menaçant d’emprisonnement. Face à cette négation brutale de sa parole, ses actes et son existence par les forces de l’ordre, en protestation, le jeune homme s’immole par le feu. La torche vivante embrasera toute la ville, puis la population tout entière de cette Tunisie dirigé par l’arbitraire, la corruption et écrasée par la misère. La victime portée immédiatement au rang de héros devient le symbole de cette révolution pacifique dite « du Jasmin » et l’auteur dote cette figure emblématique d’un pouvoir visionnaire. Ce qui anime les sept actes de cette pièce c’est le souffle libérateur et collectif de ce Printemps arabe, ce qu’il révèle, transforme, emporte ou engendre par et sur ces rassemblements de foule exceptionnels, voire de façon durable sur une société tout entière : J’ai pris place dans la foule. Ni plus ni moins. Un de plus dans la foule scandant avec la même rage, riant avec la même insouciance. Comme les autres. [...] Quelque chose a changé. Messaoud, Fouad.Karim. Comme les autres. Ahmed. Fayçal. Aziz. Des dizaines d’autres. Des centaines d’autres. Mariam. Nour. Des milliers d’autres. Et nous ne sommes pas une foule. Ça c’est ce qu’ils veulent nous faire croire. Comme ils disent ‘troubles’ pour ne pas dire ‘soulèvement’, ‘casseurs’ pour ne pas dire ‘jeunesse révoltée’. Nous ne sommes pas une foule, nous sommes un peuple. [...] Hommes et femmes. Ni plus ni moins. Un peuple entier. Quand l’écho de cette lutte unitaire, obstinée, incontrôlable et joyeuse parvient dans les pays frères, la révolte devient politique et les dictatures en place se retrouvent en point de mire. La révolution générale s’installe.Le mot d’ordre « Dégage ! » (Erhal !) adressé initialement à Ben Ali puis repris par les voisins contre leurs propres tyran est resté depuis comme le slogan phare de ces révolutions. Ça saute les frontières, grandit, s’étend, mois après mois, transformant les pays en jeu de quilles. Tunisie, Egypte, Libye, Yémen, Syrie, Maroc, Bahreïn... [...] Est-ce possible sept peuples qui poussent le même cri ? Le devenir de ces mouvements populaires n’est pas le sujet développé par l’auteur. C’est sur l’élan, la force de cette vague déferlante, son enthousiasme et sa beauté que celui-ci se focalise: Dans cette image du jeune monde qui remet en cause son héritage, des personnages émergent de la foule, une jeune femme et sa mère, un enfant en passe de perdre complètement la vue ébloui et éblouissant, deux frères, deux amoureux... La foule ici n’est pas anonyme mais riche de sa diversité et unie, c’est toute la population qu’elle représente. Laurent Gaudé la dessine radieuse et s’appuie sur un chant choral pour en restituer la complexité mais aussi la puissance et l’intensité, oscillant entre la ferveur, la joie de cette liberté et cette dignité retrouvées dans la lutte mais aussi la tragédie des répressions violentes avec son cortège de blessés et de morts innocents payant de leur sang leurs espoirs. Si les dialogues percutants souvent se font armes, la tendresse, l’émotion et la beauté parfois s’y infiltrent. Bien naturellement Laurent Gaudé n’échappe pas ici au lyrisme révolutionnaire mais celui-ci prend alors les couleurs de la rue, du peuple, ses rêves, sa joie et sa fureur, de l’humanité en marche et non du discours. Et derrière l’incarnation de cette force à l’œuvre dans le processus révolutionnaire, la question de l’émancipation des femmes, l’innocence de l’enfant aveugle mais instinctivement clairvoyant sur l’importance de ce qu’il vit dans cet instant historique, la fraternité qui soudain les unit, viennent adoucir et éclairer le tableau. C’est ce moment où le peuple se forme et donne de la voix de façon unitaire que l’écrivain fixe avec sensibilité sur la photo. Ne plus être un mais tous. Ce peuple plein de fougue et d’espérance le lecteur l’entend, le voit, l’accompagne, s’en émeut. Dominique Baillon-Lalande (06/08/18) |
Sommaire Théâtre Actes Sud Papiers (Mai 2018) 56 pages - 12 €
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