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De plume et d’ailes se présente comme un abécédaire rédigé autour de la pseudonymie accompagnée d’une réflexion personnelle sur les racines, l’identité et le masque. L’abécédaire d’Ella Balaert inscrit le pseudonyme dans une filiation littéraire. On y croise entre autres de nombreux auteurs sous leur pseudonyme en entrée principale (Gary-Ajar, William Shakespeare, Molière, Nasr Eddin, Nerval, Racine, Virginia Woolf, Marguerite Yourcenar) et d’autres comme les illustres Rabelais, Montaigne, Marcel Duchamp, Breton, Stendhal, George Sand, Kierkegaard, Rimbaud, Duras, Balzac, Quignard, Sartre, Dante, Beckett, Pessoa, Ionesco, Fred Vargas, Queneau, Borges, Ricoeur, Valery, Prosper Mérimée, Frédérick Tristan (liste non exhaustive) s’y trouvent embusqués derrière un ou plusieurs autres mots clés. Chercher Molière et le trouver à « Molière » rien de plus banal mais le retrouver ensuite sous « chimère » illustre bien l’intention de l’autrice de ne pas se laisser enfermer dans le cadre de l’abécédaire qu’elle s’est choisi mais d’en jouer et d’en exploiter toutes les possibilités. Ne pas en faire une entrée directe mais cacher Fernando Pessoa, le grand maître portugais des hétéronymes, derrière « Tour de Londres » non seulement surprend et interroge mais fait aussi magistralement écho au goût du secret et au jeu de masques successifs ou simultanés qui caractérise cet auteur singulier. Cela renverrait-il au mystère même du pseudonyme et de son message crypté ? Sous ton pseudonyme tu joues la vie à ni pile ni face. Ou les deux à la fois. Mais De Plume et d’ailes n’est pas qu’une présentation conceptuelle et artistique du monde littéraire sur le thème du pseudonyme classé par ordre alphabétique. L’autrice y partage en outre une réflexion personnelle et intime sur son parcours d’écriture en évoquant à l’occasion l’un ou l’autre de ses livres précédents et ce qui les articule entre eux. Elle s’attache plus encore à fouiller ce qui se cache derrière ce thème premier comme la cohabitation plus ou moins heureuse de l’identité publique avec celle du privé, l’image de soi, le poids de la lignée généalogique et de la famille proche avec ses non-dits, l’exil, secrets et silences, ses traumatismes et ses deuils jamais cicatrisés, sa culpabilité et ses rancœurs. À partir de ce dispositif narratif éclaté qui ne saurait avoir pour ambition d’appréhender avec une totale exhaustivité un périmètre d’étude si vaste, Ella Balaert se permet en toute liberté et subjectivité de choisir les thèmes et les entrées qu’elle va explorer en profondeur, à la fois comme objet d’étude singulier et comme élément d’un tout qu’elle organise de façon dynamique. Elle s’y amuse même à imaginer dans « dialogue » une confrontation entre elle-même prise comme individu et l’écrivain qu’elle est devenue avec un résultat assez savoureux et non sans profondeur. Plus encore, elle s’y livre pour la première fois transformant ce projet littéraire formellement contraint en espace de confidences personnelles et d’échappées biographiques données ici à titre d’illustrations de son sujet : « Qu’est-ce qui fait une identité, qu’est-ce qui est réel, comment trouve-t-on sa place, son Placement libre ou d’office, dans un groupe ? » À partir du pseudonyme l’auteure, oscillant entre un regard positif soulignant sa fécondité et la libération qui l’accompagne, et un regard négatif l’associant tantôt à une prison, un sacrilège ou un parricide, amène à méditer sur l’identité, les racines et la famille, questionne le pseudonyme plus qu’elle n’apporte de réponse à son questionnement. Mais même s’il comporte une part de renoncement, peut avoir des aspects mélancoliques et vouer l’auteur à une certaine solitude, l‘autrice le définit positivement comme la capacité qui lui a été offerte de rejouer sa naissance et de s’inventer un autre rapport au monde et aux autres. Cette introspection détournée qui s’attarde longuement sur l’identité et la liberté est toujours traversée par le regard percutant d’Ella Balaert sur son époque : Où classer ce texte qui n’est ni une autobiographie ni une autofiction ni un essai mais comme le nomme l’autrice un « essai incarné » : « Je fais simple état de mes réflexions sur le nom, la nomination, l’identité, les notions de racines ou d’exil, en les éclairant de, mon expérience – et celle de quelques autres autrices ou auteurs. C’est aussi en cela que la forme fragmentaire était intéressante, car elle traverse les frontières génériques et permet de se faire tantôt essai, tantôt confession, tantôt rêverie, tantôt petit délire, tantôt courte nouvelle, tantôt aphorisme. L’heure était venue de les aborder sous une forme deux fois nouvelle pour moi : l’écriture autobiographique et l’essai. » (Lire l’interview d’Ella Balaert sur Diacritik : https://diacritik.com/2024/05/22/ella-balaert-jai-confie-mon-sort-a-mon-pseudonyme) Écrit avec un plaisir palpable par une autrice qui ne fait qu’un avec ses livres, cet abécédaire original venu balayer trente ans de vie et d’écriture, conjugue habilement la rigueur de la forme adoptée avec les ouvertures qu’elle permet en ne se privant d’aucune liberté. Cette histoire d’envol, de libération et de renaissance au titre parfaitement choisi, par sa forme ludique qui ouvre la porte à l’humour comme la gravité, la fantaisie et le saut improbable du coq à l’âne, l’engagement féministe et sociétal, les confidences, les souvenirs douloureux, la contradiction, l’érudition et l’impertinence en quelque 250 entrées, peut se lire en continu ou au hasard d’un feuilletage aléatoire. Dans les deux cas, l’émotion, le sourire et la réflexion seront au rendez-vous. Du bel ouvrage. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Éditions des femmes (Mai 2024) 204 pages - 16 € Version numérque 11,99 €
Bio-bibliographie sur le site de l'auteure : https://ellabalaert. wordpress.com/ Découvrir sur notre site d'autres livres d'Ella Balaert : Canaille blues Quand on a 17 ans Le pain de la liberté George Sand à Nohant Prenez soin d’elle Poissons rouges et autres bêtes aussi féroces Le contrat |
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