Retour à l'accueil du site | ||||||||
Shots
Dans cet album photo, il ne reste plus que des cases vides au-dessus d'un texte positionné en légende, semblable à un journal intime ou un carnet de route qui rend compte d'une succession d'événements avec leurs conséquences qui agiteront la vie de William de 1981 à 2014 . Les kilomètres séparant Marseille où l'artiste et sa mère vivent encore et Miami où Laurent le délinquant s'est exilé à sa sortie de prison, faciliteront et symboliseront cette distanciation affective. Mère et fils recevront les premières années quelques cartes et photos de Floride puis des mails de plus en plus espacés pour finir par perdre complètement contact. C'est à ce moment que le roman familial bascule dans le polar, car notre « gentil naïf », son appareil photo greffé au bout des doigts, envolé pour l'Amérique sur les traces d'un frangin avec lequel il a rompu les ponts et dont il ne possède même pas l'adresse, se lance dans cette entreprise tête baissée sans s'inquiéter un instant ni des chances de succès de son entreprise ni de la jungle où il va mettre les pieds… C'est Denis Couleuvre, le détective haïtien également à la recherche de Laurent pour d'autres raisons, qui lui en apprendra la cause. Celui-ci ayant commis avec ses amis Milan et Sol la grave erreur de nuire aux intérêts financiers et moraux de la puissante communauté des Cubains anticastristes de Floride, il se retrouve dans la délicate position du gibier pisté par des chasseurs entraînés et sans pitié, condamné à la clandestinité, au changement d'identité et de planques, sans grand espoir de passer longtemps entre les mailles du réseau, de ses poursuivants et de ceux qui les payent. Dans son enquête personnelle, avec l'aide précieuse de ce privé haïtien dont il se méfiera longtemps, William passera donc du réseau des trafiquants d'art à la Mafia cubaine, des milieux interlopes de l'argent sale et la drogue à la police locale, dans un périple plein de surprises (plus souvent mauvaises que bonnes), de pièges et de rebondissements. Et son appareil photo ne sera pas toujours l'arme adaptée face au danger. Les règlements de comptes s’enchaînent, féroces, les cadavres plus mutilés les uns que les autres s'amoncellent autour du candide et il n'est pas certain que la prêtresse vaudou appelée à la rescousse par Gros Denis s'avère apte à le guider et le protéger suffisamment longtemps... Par contre pour ces photos que Damballa le dieu serpent interdit et dont elle annonce la disparition, sa prophétie se trouvera étrangement confirmée par l'effacement de tous les clichés qui ont touché de près ou de loin cette aventure mouvementée. Ces photos disparues sont représentées dans le roman par des cases vides qui jalonnent le récit, comme un symbole de l’avancée aveugle du narrateur. Des carrés gris concrétisant l'absence du frère et de repères, excitant l'imagination comme le faisait le carré blanc de la télévision de notre enfance pour les films interdit à la jeunesse. Combinée au saccage systématique et furieux et aux déflagrations auxquels William assiste, toujours aussi déterminé mais impuissant, cette disparition devient un des moteurs de ce récit à la première personne qui tient le lecteur en haleine jusqu'à la dernière page. Avec en prime une fin inattendue qui ne cherche pas à être vraisemblable mais se trouve en parfaite adéquation avec la cohérence de l'histoire et l'itinéraire de notre antihéros. Bien sûr, égal à lui-même, Guillaume Guéraud, entre codes classiques du polar, pastiches et détournements, s'amuse à entremêler les ficelles pour nous perdre, nous divertir et mieux nous tenir sous sa coupe. Les marques de fabrique que cet auteur imprime à ses excellents romans pour adolescents : l’angoisse, la montée d'adrénaline, le suspense, la violence, mais aussi les références culturelles (picturales, littéraires ou cinématographiques) et un héros ordinaire dont le lecteur peut momentanément habiter le costume, se retrouvent parfaitement ici. Dialogues, action, éléments de l’enquête s’enchaînent à un rythme effréné, et cette enquête dans les coulisses du petit banditisme de la Côte qui s’expatrie jusqu’à Miami, Little Havana et Key Biscayne, celles de l’extrême-droite cubano-américaine, de la mafia et des cérémonies vaudou, destinée cette fois aux grands ados que nous sommes parfois encore et aux vrais adultes, se déroule avec l'efficacité imparable et implacable dont l'auteur est coutumier. C'est malin, bien troussé, percutant et étrange tour à tour, palpitant et addictif. Dominique Baillon-Lalande (14/05/16) |
Sommaire Lectures Le Rouergue Collection La Brune (Avril 2016) 304 pages - 19,80 €
Bio-bibliographie sur Wikipédia Découvrir sur notre site des romans jeunesse de Guillaume Guéraud : Plus de morts que de vivants Anka Sans la télé Déroute sauvage La Brigade de l'Œil Je mourrai pas gibier Manga et pour les adultes : Baignade surveillée Voir le travail de Guillaume Guéraud à Miami sur le site de l'éditeur. |
||||||