C’est au café où ils se retrouvent après les cours que nous découvrons cette petite bande joyeuse unie par des liens d’amitié. Julien, plus représentatif de la classe moyenne dont il est issu que doté d’une personnalité marquée, est l’archétype du garçon sage prêt à endosser le costard qu’on lui propose faisant en cela contrepoids à l’énergie, à la soif de vérité, d’amour et d’action des deux filles. Quant à Samy qui ne s’exprime que peu en dehors des parties de flipper endiablées menées contre sa seule amie Mary "la tueuse" cachée sous ses pulls informes, il faudra attendre l’entrée en jeu de Joos pour qu’il se révèle vraiment.
En pièce rapportée on trouve donc Joos, ce modèle hollandais au visage d’ange et au corps parfait à peine plus âgé qu’eux qui fait fantasmer les filles comme les garçons du cours. Il intégrera vite le groupe d’amis, de façon périphérique tout d’abord puis  comme élément central de l’action. 
Chacun d’entre eux va se découvrir se révéler et changer au contact des autres, intimement et profondément. 

Le roman se déroule dans les années 90 quand l’apparition du Sida qui tue dans l‘indifférence générale s’immisce brutalement dans les premières expériences sexuelles de la jeune génération.       
Face à cette tragédie moderne, à l’indifférence voire aux préjugés des adultes et des médias, les deux jeunes filles se révoltent, brisent le silence sans aucun souci des conséquences, rejoignent temporairement pour l’une et durablement pour l’autre le combat mené par Act-Up. 

C’est Mary, celle que ses parents ont enfermée dans une prison d’interdits et éduquée dans la peur des autres et du sexe, « les yeux baissés, les cuisses serrées, la peur des hommes en héritage, la haine du corps en transmission », cette fille banale qui ne s’aime pas et que personne ne remarque,qui sera la narratrice de cette histoire avec un pudique recours à la troisième personne du singulier entendu comme un récit intime à la première personne par le lecteur tant il est chargé d’émotion. Et si la jeune fille timide et réservée est d’une nature généreuse et empathique, son regard dans cette aventure est aussi tranché et violent que son indignation. 

Dans cette rage de vivre, cette incandescence des personnages féminins, cette émotion, cette distance bienveillante et ce refus de l’inacceptable composant ce tableau, on retrouve la rage, la force des convictions qu’en toute subtilité, avec sensibilité et humanité, Cathy Ytak distille de livre en livre avec talent.

Ce roman, au-delà de l’engagement militant dans la durée de l’auteur  aux côtés d’Act-Up qui permet de savoir d’où elle parle, au-delà de l’évident parallèle avec le film de Robin Campillo dont la presse s’est largement fait écho,  sait fort à propos rappeler aux jeunes adultes l’importance des rapports "protégés" et dire avec justesse les émois du corps, la découverte de la sexualité et la confusion des sentiments.  On y trouve aussi la colère et l’angoisse ressenties face aux ravages de cette maladie  qui continue à décimer des populations, notamment en Afrique, sans que l’opinion s’en émeuve hors de la campagne du Sidaction.

Ce portrait d’une jeunesse au temps du Sida esquissé d’un trait de fusain parfaitement maîtrisé, dont la couverture graphique est tout à fait à la hauteur, saura émouvoir et rappeler à la vigilance tout aussi bien les adolescents d’aujourd’hui que ceux d’hier ou d’avant-hier, qu’ils soient homos ou hétéros, d’ici ou d’ailleurs. Et derrière ce sujet premier, c’est aussi la question de l’acception du corps, du désir, de la sexualité de chacun, de la nécessaire lutte contre les préjugés qui donne à ce roman d’initiation son intemporalité et son universalité.

Un bel ouvrage à recommander à partir de 14 ans.

Dominique Baillon-Lalande 
(06/01/18)