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Ce court roman nous emmène en Allemagne en 1945 à Dinslaken, sur les bords du Rhin, au moment où les alliés découvrent avec stupéfaction les exactions perpétrées par les nazis dans les camps de concentration qu’ils viennent de libérer avant que le monde entier n’en prenne connaissance. Le photographe de guerre anglais qui accompagne l’armée de libération dans le pays vaincu et occupé, sonné par la vision d’horreur qui depuis hante ses nuits, n’a rien pu photographier et ne parvient pas à quitter ce territoire pour rentrer chez lui comme si de rien n’était. Ses rêves hantés depuis par une bâche qui se soulève comme animée par les jambes grises des cadavres qu'elle recouvre, le pousse à partir avec son appareil photo sur les routes vers le nord. Il veut fixer sur la pellicule les visages anonymes de la population locale, dans le vain espoir de comprendre qui ils sont pour avoir laissé faire près de chez eux de telles atrocités. Un tout jeune soldat, le seconde classe O'Leary, engagé dans les transmissions mais qui vient juste de débarquer, n'a pas combattu et n’a donc rien vu ni vécu de cette guerre, se trouve assigné à la tâche de chauffeur pour l’accompagner. Dans son uniforme et avec son fusil posé à ses côtés, il conduira la voiture allemande réquisitionnée par le colonel Collins pour son ami photographe qui l’a suivi jusque-là et avec lequel il s’est lié d’amitié, sans rien savoir de son passager ni ses motivations. Le photographe pourrait s’inspirer du photographe-correspondant de guerre George Rodger, premier membre de « l'unité de photographie et de cinéma de l'armée britannique » à avoir accès au camp de concentration de Bergen-Belsen lors de sa libération en Avril 1945, mais cela a peu d’importance. Dans le récit de Mingarelli, seule compte la démarche du photographe trop sidéré par l’insoutenable vision du camp pour faire son travail. L’horreur peut-elle se dire autrement qu’en creux, par la périphérie, en regardant à côté comme le photographe décide de le faire en s’attachant à fixer le visage de ceux qui savaient peut-être ce qui se passait près d’eux et ont laissé faire ? C’est un roman énigmatique, peu bavard et sans action que, comme à son ordinaire, Hubert Mingarelli nous offre ici. L’atmosphère s’installe, les dialogues entre le photographe et son chauffeur, hommes de nature plutôt secrète, sont minimalistes et la barrière linguistique anglais-allemand rend la conversation avec ceux dont ils font le portrait difficile. Alors, souvent, le silence s’impose, le temps s’étire ou reste suspendu, et les images qui remplacent les mots finissent par révéler beaucoup sans jamais vraiment dire. Pas ici d’explications ou de psychologie mais juste une approche de l’essentiel pour que le lecteur s’accroche au fil de cette écriture épurée, délicate mais retenue, poétique (notamment dans ses descriptions de cette lande misérable et quasi-déserte ou du fleuve) mais sans artifice, dont la musique hypnotise. C’est l’art de la suggestion et de l’ellipse poussé à son paroxysme. Un livre magnifique d’un de nos plus grands auteurs français actuels à lire, à découvrir, à relire, avec toujours cette émotion profonde qu’en magicien il parvient à faire surgir de son chapeau. Un beau moment de littérature. Dominique Baillon-Lalande (19/08/19) |
Sommaire Lectures Buchet-Chastel (Août 2019) 192 pages - 15 €
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