Baryte Myrtale, le prince qui succède depuis peu à son père pour gouverner le pays, voudrait laisser une trace forte de son passage au pouvoir. À force de chercher une idée pour marquer l’histoire de son pays, il finit par penser à tous ces ambulants qui sillonnent les trois provinces au rythme des foires et dont les sédentaires se méfient.
« Et, peu à peu, son projet s'était dessiné : chaque ville, chaque village devait avoir ses commerces. Comme dans les pays voisins, on n'aurait plus besoin d'attendre les foires pour se faire couper les cheveux ou aiguiser ses couteaux. […] Il allait sortir ces contrées de l'archaïsme où elles s'étaient enterrées, et passer à la modernité. Tous ces ambulants, ces raconteurs d'histoires saugrenues, ces menteurs patentés qui vivaient dans des conditions misérables allaient s'installer dans de vraies maisons, nouer des relations avec leurs voisins et vivre enfin normalement. Et les sédentaires pourraient enfin disposer des biens et services dont ils avaient besoin, tous les jours de l'année. Il en était persuadé, c'était le début d'un développement historique pour les Trois Provinces. »

Ce sont donc plusieurs de ces ambulants que nous allons suivre au fil du roman. Une diseuse de bonne aventure, le propriétaire d’un petit manège, une vieille coiffeuse, un jeune chanteur… Tous sont concernés par cette nouvelle loi qui s’affiche partout dans le pays : « Les citoyens faisant métier d'ambulants devront se faire identifier à la Districterie la plus proche. Ils y recevront un territoire d'assignation, qu'ils devront rejoindre dans les meilleurs délais. »

Grouzna est la jeune femme que nous rencontrons en premier. Elle dispose de pouvoirs particuliers de divination. Le titre du livre est la phrase par laquelle elle accueille les clients pour les faire entrer dans sa roulotte : Si l’on me tend l’oreille, je parle. S’ils entrent et tendent l’oreille, elle leur murmure ce que sera leur destin.

Alfred, lui, se déplace avec un vieux camion dont il sort un manège mécanique avec six animaux en bois qu’il fait tourner en pédalant tout en jouant du violon.

La Vieille n’a pas d’autre nom. Elle habite en bord de mer avec un marin et dès qu’il reprend la mer, elle saute dans sa voiture orange et recommence à sillonner le pays pour couper les cheveux en écoutant les secrets que les gens ont envie de lui confier.

Julio Cartel a quitté sa mère et ses frères à quinze ans pour parcourir le pays avec sa guitare et ses chansons.

Tous les quatre se retrouvent en même temps dans la grande file d’attente de la Districterie où on leur délivre cette assignation qui leur interdit désormais de circuler sauf pour rejoindre au plus vite le lieu où on les oblige à s’installer.

Cette assignation à résidence ne leur convient pas du tout et ils préfèrent entrer en résistance malgré les risques que cela signifie…

Au fil des chapitres, nous découvrons les personnages, leur origine, leur passion, leur quotidien, leurs amours… et nous les accompagnons dans leur lutte contre l’arbitraire qu’on leur impose, nous partageons les épreuves qu’ils subissent et les rencontres qui jalonnent leur errance, comme cette petite fille, artiste de cirque, rescapée d’un drame familial, qui va être amenée aussi à jouer un rôle important dans cette aventure collective.

Hélène Vignal réussit encore une fois un roman très émouvant, plein de poésie et de tendresse mais aussi d’énergie et de combativité, mettant en scène des ambulants épris de liberté et très attachants, un roman qui fait réfléchir sur un pouvoir qui dresse une partie de la population contre l’autre en désignant les responsables de tous les maux du pays, en encourageant la méfiance et la délation. Mais aucun dictateur ne peut empêcher totalement la résistance et la solidarité…

Serge Cabrol 
(23/09/19)