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Thomas GUNZIG


Encore une histoire d’amour


Alex, 48 ans, a rejoint Anne chez elle. Il est marié et père de famille et la jeune trentenaire l’a toujours su. Cela ne les a pas empêchés de se voir après le travail, de se revoir puis d’entamer une liaison régulière il y a plusieurs mois. Ils sont très amoureux et la soirée leur appartient... jusqu’à minuit et demi car un retour au bercail trop tardif risquerait d’éveiller les soupçons de l’épouse. Après l’amour, serrés l’un contre l’autre, le corps satisfait, avec un abandon heureux, ils se dévoilent, évoquent leurs premières fois, leurs amours adolescentes ou passées, parlent de sexe, du couple, de la monogamie et la fidélité, de la puissance du désir et des sentiments.  Le temps leur est compté et ils profitent d’autant plus de leurs rendez-vous. La parenthèse se joue en huis clos, reclus dans l’appartement car s’afficher  ensemble dans un restaurant ou un cinéma serait trop compromettant. Alex aime sa femme et tient trop à la petite famille qu’il a constituée pour risquer de la remettre en cause. Hors du monde, avec bonheur, ces deux-là s’aiment librement et de tout leur être.  Quand une culpabilité passagère envers sa femme, une gêne devant leur différence d’âge ou l’intensité de ces instants troublent Alex, sa jeune maîtresse épicurienne, en femme indépendante et déterminée à le rester, le rassure. Sa légèreté, son insouciance, sa vivacité et sa tendresse finissent toujours par effacer les doutes de l’homme. Cette liaison vécue dans la clandestinité est en fait pour l’un et l’autre des amants non un poids mais une bulle de joie et de plaisir hors du temps et du quotidien.  « Une belle histoire, une romance d’aujourd’hui » disait la chanson de Michel Fugain reprise en chœur par tous lors de l’été 72.
Mais cette histoire d’amour-là pourrait s’avérer également un peu triste car on devine qu’elle ne pourra jamais déplier ses ailes et que la fin, sans drame mais non sans tristesse, en est prévisible à court terme. « C’est compliqué » comme le dit Anne à plusieurs reprises comme un constat et sans s’appesantir sur la question.  Mais « à la seconde où tu viens au monde, c’est compliqué : il faut respirer, attraper le nichon, ouvrir les yeux... et après c’est de pire en pire : tu rencontres tes parents, tu essayes de comprendre ce qu’ils te veulent. Et puis il y a les codes de la civilisation : il faut s’habiller, ouvrir les compteurs d’eau, comprendre les factures de téléphone. Et puis t’es attiré par une fille, alors ça se complique encore parce que les complications de ta vie à toi se mélangent avec les complications de sa vie à elle. Alors t’essayes de comprendre le mode d’emploi... » finit par lui répliquer Alex en écho, jouant les professeurs comme il aime tant le faire.   

Si la pièce reprend le schéma classique du trio « mari-épouse-maitresse » cher au vaudeville, si les lecteurs, jeunes ou moins jeunes des nouvelles et romans de Thomas Gunzig et ses auditeurs à la RTBF  connaissent bien son aptitude à nous faire rire et son goût de l’humour caustique, le comique de situation et de quiproquo du théâtre de divertissement bourgeois du siècle dernier ne trouve ici aucune place. C’est dans l’intimité, sans disputes, crises ou drame, mais en toute simplicité et tendresse, avec « un adultère sans garce ni salaud », et un questionnement sous-jacent sur les rapports hommes-femmes au XXIe siècle que ce huis clos traite de l’amour. Et il le fait au plus près de son couple de personnages, naturels et émouvants, si semblables à ce que nous sommes ou pourrions être. Quant au basculement de la dernière scène, je n’en dirais rien pour en laisser la surprise au lecteur, mais je l’ai trouvée pour ma part particulièrement maligne, inattendue et jouissive.
C’est un Thomas Gunzig plus sage, moins provocateur mais toujours aussi fort en émotions qui s’illustre dans cette histoire aussi lumineuse qu’empêchée. Les dialogues sont entrecoupés de détails triviaux et réalistes, de métaphores surprenantes, de montées lyriques et de digressions faites par les deux protagonistes sur eux-mêmes donnant lieu à des scènes (mention spéciale pour la scène du dépucelage d’Alex en Inde) particulièrement imaginatives, sensibles ou loufoques. Loin de tout romantisme de pacotille, Thomas Gunzig fidèle à lui-même s’amuse ici à malmener les évidences et le prêt-à-penser, à gratter là où ça pourrait faire mal pour, de façon moins anecdotique qu’il n’y paraît, entre humour noir et réflexion, interroger les rapports amoureux. Peut-on aimer plusieurs personnes en même temps ? L’amour peut-il durer toute une vie ? Pourquoi la société impose-t-elle des schémas amoureux préconçus sacrifiant la part du désir au nom des conventions sociales ? « À quel moment quelqu’un s’est dit : “Tu ne pourras tomber amoureux que d’une seule personne à la fois parce que sinon ta vie deviendra un labyrinthe compliqué, un nid de mensonges, un trou de culpabilité au fond duquel tu ne trouveras que la douleur, le malheur et le désespoir" ? » 

Publié en septembre 2018 mais déjà montée la saison dernière par David Strosberg au Théâtre des Tanneurs à Bruxelles, la pièce est depuis en tournée en Belgique et dans le nord de la France. Si ça passe près de chez vous n’hésitez pas, ce devrait être un bon moment.

Thomas Gunzig, est un auteur francophone belge talentueux et très polyvalent (romans, nouvelles, livres pour la jeunesse, pièces radiophoniques et de théâtre…). Comme scénariste il a signé le Tout Nouveau Testament récompensé par le Magritte du meilleur scénario et nominé aux Césars et Golden Globes. Depuis plusieurs années il signe aussi la chronique Café serré dans Matin Première à la RTBF.  Son œuvre littéraire abondamment traduite a reçu de nombreux prix.

Dominique Baillon-Lalande 
(28/12/18)      



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Théâtre








Au Diable Vauvert

(Septembre 2018)
96 pages - 5 €








Photo © Bénédicte Maindiaux
Thomas Gunzig,

né en 1970 à Bruxelles, nouvelliste et romancier, chroniqueur à la radio, écrit aussi pour le cinéma, le théâtre et la chanson.
Il est l'auteur d'une
vingtaine de livres.


Bio-bibliographie sur
Wikipédia






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