Retour à l'accueil du site





Jean-Claude TARDIF


Les chemins dérisoires


Dès le premier poème, Jean-Claude Tardif donne la couleur de ce nouveau recueil :
Ne vous moquez pas des chemins dérisoires,
ils sont miens, vôtres aussi.
Ils mènent du jour à la nuit, la roche
le galet tout ensemble.
Ils sont ces mots qui nous ressemblent
et nous font trembler à midi.

Ne vous gaussez pas de leur boue
où vos pas pleurent le temps qui passe.
L’amour lentement s’y efface
qui ruisselle aux feuilles du houx.

Petits chemins par les sous-bois
que frôle l’empreinte des loups,
ils sont simples comme ce mot qui manque
et qui parlerait de nous. (sans titre)

S’en suivent une bonne quarantaine de poèmes évoquant la nature à toutes saisons, le voyage, les moments partagés ou la solitude, de l’enfance à la vieillesse :
Retour
est  un mot trop petit
pour cacher l’épaisseur du voyage,
ses fatigues repliées
dans l’odeur des pétales de septembre,
quand la peau commence à conter l’hiver
et que la vitre d’une fenêtre basse
vous donne à voir la neige,
son reflet blanchi.
Secouer la tête n‘y change rien,
l’enfance s’est éloignée
avec l’odeur recuite des confitures
collée au cuivre des bassines. (Retour)

On y entend le bruit des vagues et le chant des oiseaux :
Des mots bleus, cirés comme la mer
sans ses vagues
suffisent à dire l’estive et son mensonge.
Les laisses sont pleines de bois brûlés,
des silences jetés sur les brise-lames.
Par endroit l’empreinte d’un pas,
celle d’un enfant devenu grand. (strophe 1 Bord de mer)

Ce merle, cerise au bec
incapable de chanter.
Il me regarde
vieux camarade à l’œil rond.
II porte les couleurs de mon drapeau
sans le savoir.
J’ai soudain envie de cette cerise,
celle-ci précisément
envie d’elle et d’une chanson .
Le sait-il
qu’il me tourne le dos
dans une ultime révolution. (Camarade)

Alors que le temps suspend son vol ou se déroule au fil des souvenirs, Jean-Claude Tardif de poème en poème entre en communion non seulement avec la nature qui l’entoure mais aussi avec son panthéon personnel de poètes complices comme André Breton, Luis de Camoens, Max Jacob, Eugène Guillevic, Jean-Claude Pirotte, Henri Michaux, André Laude, François Vigne…, d’artistes peintres et/ou d’amitiés tissés aux hasards de ses pérégrinations et des échanges chaleureux autour d’un bon vin, pour nous en livrer l’éblouissement de l’instant et du partage. L’occasion ainsi parfois de replonger dans ses voyages ou d’y effleurer l’Histoire collective et ses guerres quand elle a meurtri la communauté humaine. Ainsi en est-il, dans une habile combinaison qui réunit plusieurs de ces aspects, avec ce poème sans titre écrit en hommage à Federico Garcia Lorca, poète exécuté à Grenade en Août 36 par une milice franquiste :
Il y a eu un crime à Grenade,
il y a longtemps de cela !
Hier, aujourd’hui,  demain peut-être.
(…)
ll y a eu crime !
Soixante secondes
la vie d’un homme
le temps du plomb et de la chair
le même contre le mur ; impact, intact, la vie d’un homme
qui tombe, glisse contre le soleil,
le soleil et le mur sur lequel,
l’astre sombre soudain
roule. La terre est meuble, elle pleure
dans le fossé, sur le corps
recroquevillé, soleil noir
juste avant l’aube.

Pas de tristesse de regrets ou de nostalgie sous la plume du poète quand il évoque l’enfance et la vie qui s’enfuit car comme l’exprime cette définition volée à Georges Perros qu’il a choisi de mettre en exergue de son recueil :
La poésie pour moi
c’est le temps durant lequel
un homme oublie qu’il va mourir.
C’est au cœur de sa vie dans Ce pays ou le bleu hésite avec le gris, marchande avec le vert (Ce pays) qu’à travers ses Chemins dérisoires Jean-Claude Tardif tire sa substance. Il nous invite à le suivre pour partager avec lui en toute simplicité, avec pudeur et émotion, ces moments privilégiés où les mots servent non à se dire mais à évoquer de façon sensible et avec retenue ce qui nous est commun et nous lie : la beauté lumineuse et intemporelle des paysages, les petits bonheurs et la chaleur de l’amitié qui donne matière et sens à l’existence et le profond mystère de la poésie. 

Un rendez-vous émouvant, fragile et d’une belle intensité à ne pas manquer.

Dominique Baillon-Lalande 
(12/08/24)    



Retour
Sommaire
Poésie








Petra

(Juin 2024)
90 pages - 12











Jean-Claude Tardif,
né en 1963 à Rennes dans une famille ouvrière, auteur d'une quinzaine de recueils de nouvelles et autant de poésie, anime depuis 1999 la revue littéraire A l'Index.







Découvrir sur notre site
d'autres livres
du même auteur :

Navaja, Dauphine
& accessoires


La douceur du sang

Choisir l'été…

L’illusion du père

Contes gris

Je vous regarde