L’Europe est une entité complexe et Laurent Gaudé  nous rappelle l’histoire de cette Europe avec sa naissance, ses inventions, ses rivalités, ses heures sombres, ses quêtes, ses hésitations, ses guerres, ses exterminations, ses exilés… et ses espoirs.

« Qui sommes-nous ? Héritiers de quel passé ? Traversés par quels tourments ? Fautifs de quels crimes et porteurs de quelles utopies ? Que voulons-nous ? Notre continent a inventé des cauchemars, fait gémir ses propres peuples, mais il a aussi su faire naître des lumières qui ont éclairé le monde entier. C'est cette contradiction-là qui nous constitue. »
« Pourquoi nos pays ont-ils décidé de créer cette communauté de l’Entente ? Pour la paix. Mais au-delà de la paix ? Pour la prospérité. Et au-delà de la prospérité ? »

Sous forme d’un long texte en prose poétique partagé en seize chapitres, Laurent Gaudé appelle la jeunesse à réagir. En effet, il considère que les mots, « Nation », « Égalité », « Liberté », sont contemplés avec fatigue et qu’un sursaut est important.

L’Europe est née en 1848. C’est une vieille dame et la faire vivre n’est pas toujours facile. Laurent Gaudé nous rappelle la compétition entre Paris, Londres et Berlin, le développement des mines de charbon, la vie terrible des Gueules noires, la colonisation : « Et pendant des siècles, nous avons mangé le monde. Nos pays ont fait la course Pour s’approprier les matières premières. […] Qu’avons-nous fait lorsque nous avons régné ? Nous nous sommes bâfrés. » puis la guerre avec le gaz moutarde, ses blessés et ses morts, et la création artistique : « L’Europe a besoin des seins de Joséphine Baker et des poèmes de Cendrars. »

Mais le Parti national fasciste « Voilà ce qui vient. Ça va vite. » « Obéir Aura été la grande affaire de l’humanité. Obéir et chanter, Il n’y a pas de meilleur moyen pour en venir au meurtre. »
« Près de Mende. Le camp de Rivesaltes et celui des Milles. Partout en France, Les barbelés vont pousser comme une herbe folle » et le nazisme va envahir l’Europe.
L’extermination, la haine des Juifs, le retour des déportés amèneront les questions : « Qui sont nos pères ? Et de quoi sommes-nous nés ? » De nazis, de meurtriers ?

Puis il y aura la période du communisme et des privations de liberté. La guerre continue sous d’autres formes avec des vies volées.

L’Europe peut-elle se construire sans l’engouement des peuples ?
« L'Europe s'est construite sans l'engouement des peuples,
Par prudence,
Parce que l'engouement des peuples avait mené au crime.
Parce que la passion en politique avait mené aux grands discours qui fanatisent les foules.
L'Europe s'est construite sans faire appel au suffrage direct parce qu'elle sortait d'un chaos où les peuples avaient eu tort. »
La jeunesse s’est révoltée en 68 à Prague comme à Paris. « C’est contagieux, la respiration de la jeunesse. »

Le combat continue pour construire une Europe juste, fraternelle, accueillante sans nettoyage ethnique, comme la Yougoslavie a pu en connaître alors que l’on s’était dit Plus jamais ça, sans exclusion, dans la tolérance et l’acceptation de différents points de vue.
« Que l'Europe s'anime,
Change,
Et soit,
À nouveau,
Pour le monde entier,
Le visage lumineux
De l'audace,
De l'esprit,
Et de la liberté. »

Voici un très beau plaidoyer pour mobiliser toutes les énergies qui permettraient de réaliser une autre Europe, plus juste et plus généreuse. Laurent Gaudé à travers ses différents écrits nous montre la nécessité de donner priorité à l’humain pour rendre le monde meilleur. Projet ambitieux mais indispensable.