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Alice, vendeuse dans un magasin de chaussures licenciée à la fermeture définitive de la boutique après plus de vingt ans de bons et loyaux service, élève seule Achille, un gamin beau, intelligent, raisonnable, solide et docile né d’une brève liaison amoureuse. Si jusque-là il lui avait toujours fallu compter, elle avait quand même réussi aux six ans du môme, en économisant sur tout mois après mois, à lui offrir de vraies vacances : une semaine en Égypte. Certes l’hôtel était près d’une autoroute, à huit cents mètres d’une plage sale et à huit heures de bus des pyramides (visite dont elle n’avait, malgré la déception du petit, pas pu assumer le surcoût financier) mais Achille s’était bien amusé. Alice n’a rien à perdre et le plan de ce “braquage culturel”, sans violence ni arme, est minutieusement élaboré et mis en œuvre, non sans pas de côté, rebondissements et surprises. Parviendront-ils à leurs fins ? Ce roman dans sa double problématique (l’angoisse que peut provoquer le manque d’argent quand on en a vraiment besoin pour manger et élever ses enfants et ce à quoi cela peut mener, une satire humoristique du monde littéraire et éditorial doublée d’une analyse sensible du rapport de l’écrivain avec l’écriture et l’imaginaire) est portée par des personnages de l’ordinaire. Alice, mère célibataire isolée aux revenus juste modestes, n’est pas vraiment pauvre tant qu’elle a un travail fixe mais va plonger dans la misère à la perte de son emploi. C’est une mère aimante prête à se battre pour que son petit ne souffre pas de la situation et qui redoute que les services sociaux ne le lui arrachent pour le mettre en foyer. Une parmi tant d’autres pour dire la précarité au quotidien et l’expulsion qui guette. Tom, lui, fait partie de la masse des écrivains connus mais non célèbres qui vend un peu mais pas suffisamment pour en vivre et qui en vieillissant, après avoir couru les salons, les bibliothèques et librairies un peu partout pour des rencontres, des dédicaces ou des ateliers, se rend compte que le temps est passé sans que le succès ni même sa visibilité ou son image ne s’affirment. Aux difficultés financières jamais dépassées s’ajoutent alors les doutes quant à la justesse de ses choix et la réalité de son talent. Son portrait est également l’occasion pour l’auteur de décrire de façon sarcastique le milieu littéraire, des éditeurs aux médias en passant par les influenceurs sur internet et les attachés de presse, car cet univers professionnel bien qu’artistique n’en est pas moins soumis aux logiques marchandes. Thomas Gunzig s’y permet aussi un hommage à ses écrivains fondateurs comme Garcia Márquez, Bradbury, Duras, Mishima, Melville, Musil, et quelques autres, avant d’y évoquer à travers son personnage la difficulté de « décrire convenablement une scène de cul, comme si en matière de sexe les mots perdaient tout leur pouvoir ». Ce qui les réunit, ces deux-là, face à la société c’est l’invisibilité et le manque d’argent. Comme chacun possède peu, ils sont pour ceux qui les croisent et ne manquent de rien des gens de peu, des anonymes sans valeur. La rencontre d’Alice avec une amie d’enfance issue de la bourgeoisie dans un salon de thé luxueux et bobo concrétise dans une scène aussi glaçante qu’absurde, décalée et finalement comique, le fossé qui sépare les laissés-pour-compte et les riches qui se barricadent derrière leur réussite pour, à renfort d’idées et de phrases toutes faites, gommer l’humanité des victimes de peur d’être touchés voire contaminés par le malheur s’ils acceptaient de les regarder en face. Dormez tranquilles braves gens, les chômeurs sont des fainéants, ceux au RSA des assistés, et le président l’a bien dit : « je traverse la rue, je vous trouve du travail ». Thomas Gunzig s’amuse avec provocation à reprendre ainsi plusieurs des formules chocs de Macron. Outre sa théâtralité satirique et comique, cette rencontre-clé introduit nettement dans le récit la vieille notion de lutte de classes. Alice a identifié son ennemi et si sa révolte est individuelle, ses actions toujours non violentes et sa prise de pouvoir basée sur la douceur, elle se met au défi de prendre sa revanche et n’aura désormais aucun scrupule moral à rétablir la justice en récupérant son dû. Les personnages secondaires, issus du monde du livre où de l’univers personnel des deux protagonistes, viennent ainsi majoritairement faire contrepoint aux qualités de cœur des deux loosers sauvés par la solidarité qui les unit. Un livre un peu barré, tendre avec ses personnages, décapant avec la société, rythmé et énergique qui se lit d’une traite. Un grand Gunzig où l’on retrouve la pudeur, la violence, l’absurdité, l’extrapolation sociale, les métaphores décalées et l’irrésistible drôlerie qui nous le font tant apprécier mais avec cette fois une maturité nouvelle qui apporte au-delà du rire une sensibilité plus visible et une profondeur accrue dans le traitement de son sujet. Dominique Baillon-Lalande (15/01/20) |
Sommaire Lectures Au Diable Vauvert 400 pages - 20 €
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