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Philippe LACOCHE


Pourriture


Pourriture est une pièce en trois actes complètement loufoque et politiquement incorrecte, une charge contre la société ultralibérale et contre les excès d’un féminisme extrême qui a choisi le rire et l’outrance comme arme. Six personnages (trois femmes et trois hommes) se partagent le plateau avec par ordre d’arrivée sur scène : Humbert Mulot, ancien membre des Jeunesses hitlériennes propriétaire d’une boutique de culottes de peau bavaroises et collectionneur de prothèses de hanches, vite rejoint par Jehanne-Constance de La Tergnière, fille d’aristocrates déchus qui travaille comme prostituée au Gros cygne, Mme Paule la vieille tenancière du bordel et son autre pensionnaire Roberte, féministe intégriste militante qui n’hésite pas à se définir comme « arracheuse de bourses ». Scène deux, on change de décor pour le commissariat où Dambrine, l’inspecteur aux emportements émotionnels ou poujadistes suspects que l’on a un peu de mal à cerner, flanqué de son fidèle adjoint le brigadier Mathis, les interroge tous. C’est à nouveau Au petit bavarois que l’affaire se conclut dans la scène trois avec les six protagonistes. Ceux qui ont lu ou assisté à une représentation de L’Écharpe rouge (Le Castor Astral, 2014) y retrouveront dans les mêmes rôles Madame Paul et son établissement, Humbert Mulot et sa culotte de peau, le brigadier Mathis l’inquiet et l’inspecteur Dambrine et son poster de Blanche-Neige.

Tout commence par le vol d’une culotte de peau au Petit bavarois tenu par Humbert Mulot dont Jehanne-Constance de La Tergnière pour assouvir les fantasmes de certains de ses clients sans se ruiner vient de se rendre coupable. Le commerçant n’entendant pas se laisser ainsi dépouiller sans réagir poursuit la voleuse, la rattrape et la ramène avec l’objet du délit dans sa boutique. Mais si Mulot furieux est bien décidé à porter plainte pour ce larcin, le joli minois, la silhouette et le charme tout professionnel de la jeune femme ne tarderont pas à lui faire envisager les choses sous un autre angle. C’est alors que Madame Paul et Roberte arrivent sur les lieux. Si la conversation qui s’engage entre le vendeur de culottes un peu rustre et la femme pieuse et pétrie de bonnes manières pourvoyeuse de chair fraîche reste aimable la situation tourne vite à l’aigre entre la jeune Roberte, prostituée ultra féministe affiliée au parti des Hyènes, et le boutiquier au machisme exacerbé. Quand celle-ci se précipite sur lui pour « découiller » d’une dent rageuse ses bijoux de famille, Mulot terrifié appelle la police. L’inspecteur Lucien Dambrine, qui s’avère de son côté garder un souvenir ému de la tenancière du bordel et du plaignant, embarque tout ce petit monde survolté au commissariat afin d’y voir plus clair. Pour mener ses interrogatoires il appellera en renfort le brigadier Mathis de la sûreté urbaine, ancien de la SFIO dont la récente promotion lui assure la fidélité et la soumission qui se trouve accessoirement être le père de l’inflammable Roberte. Après l’agression et les interrogatoires, ce sera à une mascarade de procès menée par Dambrine sur les lieux même du délit avec ses odeurs forte de peau de bête que nous assisterons. 

On navigue ici en plein délire avec des personnages plus outrageusement caricaturaux les uns que les autres. Il est donc dès le début évident dans cette farce que face aux remarques poujadistes hors du temps du commissaire qui croit son héros encore vivant, aux déclarations embrouillées et mécaniques de l’ancien hitlérien fétichiste des culottes de peau nouvellement acquis à Raphael Gutronc et à l’Europe des marchés ou à la jeune Roberte, putain sur le port pour avoir traversé la rue comme le président Gutronc le recommandait à tous les chômeurs, soudain transformée par une déception amoureuse en hyène enragée,  il n’y a guère que Mathis aussi servile avec Dambrine que sa fille avec ses clients, Madame Paul citée comme témoin et Jehanne-Constance la voleuse qui pourraient dans Pourriture ressembler à des personnes que dans la vie réelle nous aurions pu croiser. L’avertissement en usage (toute ressemblance avec des personnes réelles...) pourrait donc ici être détourné en "tout rapprochement avec des personnes existant ou ayant existé relèverait de la pure imagination".

À côté des dialogues survoltés au langage fleuri  qui majoritairement constituent et portent la pièce, tellement absurdes et surréalistes qu’ils nous bluffent et provoquent à tout coup le fou rire, des pamphlets chantés façon opéra bouffe viennent régulièrement s’y insérer offrant une rupture de forme mais restant pareillement porteurs de références politico-sociales et de sous-entendus satiriques : « Toute la France au boulot, vive les culottes de peau », « Ponctionnons les prolos, soyons capitalos », « D’la sociale on ‘en a rien à faire, nous c’qu’on veut c’est juste faire des affaires », « cassons en chœur les services publics, et tous les acquis de la République », « oui je suis une découilleuse, une saute-aux-prunes, une teigneuse, ces phallocrates je n’en veux plus, j’aimerais qu’ils soient tous pendus », « y’a que les filles que j’adore, un bon homme est un homme mort ». Sans surprise mais pour notre bonheur la facétie, les incongruités et clins d’œil, les slogans détournés, les jeux de mots et les inventions lexicales sont ici nombreux au rendez-vous.

Philippe Lacoche le romancier et nouvelliste prolixe à l’écriture élégante explore au théâtre un autre chemin. Face à la colère et au dégoût que les évolutions de notre société lui inspirent et pour dénoncer les travers assassins de l’ultralibéralisme autoritaire incarnés ici par Raphael Gutronc (président jeune et moderne et chef du parti « En course ») mais aussi l’émergence d’une nouvelle forme de militantisme féministe vindicatif et rigide dans lesquels il semble pareillement voir des facteurs de violence potentielle et non une avancée vers un nécessaire vivre ensemble respectueux des droits de chacun et notamment des plus démunis, il tourne le dos  à la charge frontale pour lui préférer l’humour, la satire, la dérision  et  l’absurde. Serait-ce un exercice d’exorcisme que l’auteur avec un esprit sciemment provocateur, décalé, indéniablement drôle mais jamais malsain et surtout plus profond qu’il n’y paraît nous propose ?

Exorcisme ou pas, cette fable politique incisive, délirante et savoureuse portée par des personnages hauts en couleur que l’on aurait bien vue programmée entre Ionesco et Alfred Jarry au Théâtre de la Huchette ou dans l’esprit de « Des boulons dans mon yaourt, spectacle bête et méchant à la Hara-Kiri » présenté au Café de la Gare dans les années soixante, fait mouche.

Un lecture de cette pièce a été donnée à sa sortie par la Comédie de Picardie sous la direction de Jean-Michel Noirey. C’est maintenant la « troupe des Proportuns » qui à partir de septembre 2024 proposera Pourriture en tournée dans les Hauts-de-France pour circuler ensuite en Normandie et en région parisienne.
À la lecture ou sur scène, ne boudez pas le plaisir de découvrir cette pièce jubilatoire qui parvient à nous faire rire des travers de notre société au lieu d’en pleurer.     

Dominique Baillon-Lalande 
(15/04/24)      



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Théâtre








Les soleils bleus

80 pages - 10 €








Photo © Arnaud Plancq
Philippe Lacoche
né en 1956 dans l'Aisne, écrivain, journaliste et parolier, a déjà publié plusieurs dizaines de livres.

Bio-bibliographie sur
Wikipédia






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Vingt-quatre heures pour convaincre une femme

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des Mohicans








Les soleils bleus

52 pages - 10 €

Les éditions Les soleils bleus ont également publié en décembre 2023 sous le titre de L’hibernation trois nouvelles extraites de Petite garce (recueil d’une vingtaine de nouvelles publié par Philippe Lacoche en 2009 au Castor astral) illustrées en Bande Dessinée (5 à 7 pages
pour chacune) par
Daniel Grardel.