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Laurent GAUDÉ

La dernière nuit du monde


La pièce s’ouvre sur une énigme qui ne sera élucidée qu’à la fin : qui est cette messagère ? Pourquoi Gabor la tue ? Il est question ensuite de pilule, de saccage du monde et le lecteur ou le spectateur est toujours dans l’ignorance. Puis, enfin le voile se lève par ces mots : « Vous allez tuer la nuit » « Non juste la réinventer ».
Vania Van Deroot, femme politique pour laquelle Gabor travaille, explique dans un débat public : « Le jour déborde. L’humanité doit répondre à cela. Or la nuit est là. Et elle nous offre ce dont nous avons besoin : du temps. »
Une jeune fille a tout compris : « Pourquoi ne dites-vous pas clairement que c’est un enjeu avant tout économique ? Une planète H 24, c’est le rêve du capitalisme, non ? »
Vania Van Deroot : « La vie des hommes s’étalera sur 24 heures. Certains choisiront de travailler la nuit, d’autres le jour. Nous inventerons nos pratiques de sommeil pour qu’elles nous ressemblent davantage. […] Au lieu d’être dans l’intensité pendant 12 heures, la société utilise les 24 heures pour être en flux constant oui, mais sur un mode moins agressif. » On reconnaît au passage le langage connu de néolibéralisme.
Une gélule permet en dormant 45 minutes de se sentir reposé comme après une nuit de sommeil.
L’humanité est sur le point de s’affranchir du sommeil.

Mais cette folie n’est pas du goût de tout le monde. Un Mouvement Nuit Noire manifeste brutalement par des jets de pierres.
Alors que Gabor fête à l’autre bout du monde la dernière nuit, Lou, sa compagne bien aimée, blessée par une pierre lancée par un manifestant, est hospitalisée dans un état grave. Mais ni train ni avion ne circule. Alors dans un geste de désespoir, Gabor montre la photo de Lou autour de lui et l’envoie à tous ceux qui l’acceptent. « Pour que tu sois là, au milieu de cette foule, grande foule, avec moi. »
Il l’envoie à Ilma Mäkinen, rencontrée dans un café, représentante du peuple sami* qui était son adversaire politique quelques heures auparavant car elle et son peuple s’opposent à cette folie « au nom de l’alternance sacrée du jour et de la nuit, de la lumière et de l’obscurité, des activités et du sommeil. Le monde ne doit pas tomber tout entier dans la main de l’homme. […] Nous ne sommes qu’une partie du vivant. Les arbres, les animaux, les insectes, les plantes, la glace, toutes ces choses ont besoin de la nuit parce qu’elles ont besoin de notre silence, de notre absence. […] La lumière – votre lumière – s’invitera partout. »

Alors que tout a fonctionné comme il l’espérait, Gabor vit un cauchemar. Peu à peu, tout se détraque, les yeux s’assèchent, piquent puis rougissent, « l’impression d’avoir toujours du sable sous les paupières. Cligner des yeux est devenu difficile. Tout est devenu difficile. Il faut faire un effort sans cesse pour vivre. »
« Je ne suis plus jamais fatigué mais je suis usé. Personne n’avait pensé à cela : que nous finirions par être trop plein de notre propre vie. »

Cette pièce est à la fois bouleversante, puissante, poétique. Le style de Laurent Gaudé ne déçoit jamais. De longs monologues entrecoupés de dialogues donnent un rythme très particulier à ce « monologue peuplé ».

En préambule, il laisse le choix de la mise scène aux comédiens pour qui il a le plus grand respect : « La terre entière tient dans la main du comédien et le souffle qu’il a au bout des lèvres contient tous les possibles. »    

* Les Samis sont le peuple autochtone du territoire appelé jadis Laponie en Norvège et Suède principalement. Ils ont un lien très fort à la nature.

Nadine Dutier 
(31/05/21)   

La Dernière Nuit du monde sera créée au Festival d’Avignon 2021 par la compagnie Artara, dans la mise en scène de Fabrice Murgia, du 7 au 13 juillet au Cloître des Célestins. Une tournée est prévue par la suite.



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Théâtre









Actes Sud Papiers

(Avril 2021)
72 pages - 12 €









Laurent Gaudé

Bio-bibliographie
sur le site de l'auteur:
www.laurent-gaude.com




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